Vertiges by Lionel Duroy

Vertiges by Lionel Duroy

Auteur:Lionel Duroy [Duroy, Lionel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: JULLIARD
Publié: 2013-04-14T22:00:00+00:00


Bien sûr, la vue m’était revenue dans la soirée. Par la suite, nous en avions ri, Esther et moi, mais jamais nous n’avions reparlé sérieusement du phénomène – cette cécité passagère qui était opportunément tombée du ciel pour me tirer de là. Aujourd’hui, je vois que ce qui allait nous arriver, et nous détruire petit à petit au fil des années, était tout entier contenu dans cette histoire et que si nous avions pris la peine d’en tirer les leçons nous aurions peut-être survécu l’un et l’autre à nos démons. À l’avenir, aurait dû se dire Esther, je respecterai Augustin, je respecterai ses choix, je m’efforcerai d’en comprendre l’origine (en lisant ses livres, par exemple, puisqu’il passe son temps à se décortiquer) et je n’essaierai plus de lui forcer la main. Il sait parfaitement distinguer ce qui est bon pour lui de ce qui est mauvais, et c’est un homme capable de se rendre malade si on le pousse à aller contre sa volonté profonde. À l’avenir, aurais-je dû me dire, chaque fois que je m’entendrai emprunter les mots de Toto pour donner satisfaction à Esther, je m’interromprai abruptement et m’infligerai de dire tout haut : pardonne-moi, Esther, je viens de dérailler par inadvertance pour marcher sur les traces de mon père, ce qui explique l’énorme bêtise que je viens de te lâcher. Oublie ce que j’ai dit et laisse-moi cinq minutes pour reprendre le fil de ma pensée.

Il aurait dû nous apparaître à l’un comme à l’autre invraisemblable qu’après avoir choisi de publier mon autobiographie contre l’avis des miens, qu’après avoir choisi de sauver ma peau en rompant avec les miens, et en particulier avec notre mère, je puisse subitement revenir sur ce travail monumental pour faire plaisir à Esther, et lui lâcher benoîtement, empruntant les mots de Toto, au fond tu as raison, Esther, je n’ai pas le droit de priver Alice de ses grands-parents, quoi que je pense d’eux. Ce au fond stupide, n’est-ce pas, surgissant dans ma bouche comme si je n’avais pas déjà exploré le fond et l’arrière-fond en écrivant les cinq cents pages de mon autobiographie à laquelle j’avais consacré plusieurs années de ma vie (et trois versions successives). Et pourquoi Esther, qui n’avait jamais vu mes parents, aurait-elle eu au fond raison contre moi qui les connaissais intimement pour avoir partagé leur folie près de quarante années durant ? Et pourquoi avais-je soudain décrété que je n’avais pas le droit de priver Alice de ses grands-parents, alors que de mon point de vue j’en avais non seulement le droit, mais le devoir, sachant à peu près tout de leur nocivité ?

Jamais je n’aurais dû céder à Esther, en dépit de ses tentatives répétées, et à la troisième ou quatrième j’aurais dû lui claquer la porte au nez. Jamais Esther n’aurait dû me mettre dans la situation de me renier (on ne fait pas cela à une personne qu’on prétend aimer), mais constatant qu’elle le faisait, et qu’à la fin elle se félicitait même



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