Un lieu nommé Oreille-de-Chien by Ivan Thays

Un lieu nommé Oreille-de-Chien by Ivan Thays

Auteur:Ivan Thays [Thays, Ivan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Poster, Littérature Péruvienne
Éditeur: Gallimard
Publié: 2018-06-15T00:00:00+00:00


Je me réveille en pensant à Mónica.

Quand j’ai commencé à sortir avec elle, à l’occasion d’anniversaires ou de dîners entre amis, feignant de ne rechercher que son amitié ou sa compagnie — mais était-ce une feinte ? —, ceux qui me connaissaient me faisaient remarquer qu’elle me regardait de manière très attentive lorsque je lui tournais le dos ou quand je parlais avec quelqu’un d’autre.

Parfois, moi aussi j’avais l’impression de sentir son regard.

Mais ensuite, lorsque j’essayais d’aller vers elle, elle me fuyait, bien évidemment. Je me suis rendu compte que la perspective d’une déclaration l’angoissait. Elle disait d’elle-même qu’elle était comme le Grinch de l’amour : un personnage de contes pour enfants disposé à saboter les bons sentiments.

Mónica ne me repoussait pas, mais elle rêvait d’une amitié sincère et sans complications.

D’une solitude accompagnée.

Moi, j’étais déjà éperdument amoureux. Chaque jour, c’était plus difficile de l’approcher et de ne pas lui dire que j’étais amoureux.

Ça commençait à devenir insupportable.

Jusqu’au jour où je me suis décidé.

Nous nous étions dit au revoir devant ma porte. Comme en d’autres occasions, elle m’avait raccompagné dans sa Mercedes rouge, elle disait que faire un détour ne la dérangeait pas du tout tant elle aimait conduire.

Comme en d’autres occasions également, je l’ai prise par la nuque et j’ai approché sa joue de mes lèvres.

Rien d’inhabituel.

Mais au moment de la quitter, je lui ai dit que je l’aimais.

Je le lui ai dit tandis que je voyais son visage se défaire et ses yeux briller avec une intensité inconnue, peut-être pris de panique.

Mais bientôt son regard s’est adouci et la tension de ses joues s’est relâchée. La phrase avait été prononcée et il n’y avait pas moyen de revenir en arrière.

Elle m’a dit qu’elle éprouvait aussi quelque chose pour moi. Et nous nous sommes embrassés.

Ses lèvres étaient minces et elle les a gardées fermées, mais j’ai senti que son cœur battait à toute allure.

« Ça, c’est pour moi ? » ai-je pensé tandis que je la tenais serrée contre moi.

Les tendons, les muscles, les minuscules veines de son poignet, les cheveux, les os, les poumons, le flux sanguin, l’haleine, le pubis menu, tout cela existe et a un sens à présent près de moi ? Et elle me livre tout ça parce qu’elle m’aime ?

Et l’utérus, cette cavité, cette douce grotte et ce que l’on peut y loger, c’est aussi à moi ?

Je l’ai embrassée de nouveau, avec gratitude.



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