TROIS FEMMES by Isabelle de Charrière

TROIS FEMMES by Isabelle de Charrière

Auteur:Isabelle de Charrière [Charrière, Isabelle de]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Romans
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliothèque numérique romande
Publié: 2012-10-17T19:08:48+00:00


LETTRE VIII

Constance à l’Abbé de la Tour,

En voici bien d’un autre ! le hollandais est athée. Ce matin, sur la fin de la leçon, les plus jeunes écoliers s’en allaient déjà avec le maître allemand ; les plus âgés restaient ; et l’aîné de tous, charmé du Maître Batave et ne le quittant qu’à regret, s’est avisé, comme pour avoir encore quelque sujet d’entretien avec lui, de lui demander quelle était sa Religion ?

Aucune, a répondu froidement le Mathématicien, et il s’en est allé. Aucune ! aucune ! a été répété par toutes les bouches comme par autant d’échos ; mais nos petits échos ajoutaient au mot répété, l’accent de la surprise et d’une sorte de consternation. Heureusement Théobald était là et j’étais avec lui. Il a dit que cela voulait dire seulement que leur maître n’était ni catholique romain, ni luthérien, ni calviniste ; ce qui n’avait rien d’étonnant puisqu’on professait en Hollande plusieurs autres croyances, mais que cela ne laisserait pas, si on le savait, de le rendre désagréable à beaucoup de gens, qui veulent qu’on ait une religion qu’ils connaissent. Voudriez-vous perdre votre leçon d’arithmétique ou d’algèbre ? a-t-il ajouté. Non, non, ont répondu les enfants. Eh bien, il faut vous taire scrupuleusement, a dit Théobald. Si vous dites un seul mot de la déclaration de votre Maître, on aura avec lui des procédés malhonnêtes, et certainement il quittera Altendorf. En même temps il a promis des ardoises, du papier, des crayons, des écritoires, si le secret était gardé et que les leçons de géométrie et de calcul continuassent ; et moi, à qui il avait tout raconté en français, j’ai mis le doigt sur ma bouche en signe de discrétion, et cela d’un air si grave et si solennel, que la confrérie du secret, composée de trois garçons et de deux filles, en a reçu une nouvelle injonction de le garder. Sera-t-il gardé ce secret ? tous l’ont promis : trois garçons et deux filles, de treize, quatorze et quinze ans ! tous, dis-je, l’ont promis, exigeant cette promesse les uns des autres. Théobald est allé parler à l’instituteur, et lui a dit de quelle importance il était de se taire, s’il voulait vivre ici en repos et conserver un établissement qui paraissait lui convenir. Je ne suis pas bavard, a-t-il répondu ; ce n’est guère le défaut des gens de mon pays, et si l’on ne me demande rien, je ne dirai rien. On n’en a pu tirer autre chose. Supposé donc qu’on lui fasse la même question que ce matin, il ne manquera pas de faire la même réponse. Alors, que de bruit ! Les parents croiront leurs enfants souillés ; pervertis, damnés, pour avoir appris d’un homme sans religion que deux et deux font quatre. Auprès de la moitié du public, Théobald en le renvoyant, n’expiera qu’imparfaitement son imprudence ; l’autre moitié criera à la superstition, à la barbarie, et les Bayle futurs, dans leurs Dictionnaires, mettront Jan Praal au nombre des philosophes persécutés, et Théobald d’Altendorf sur la liste des persécuteurs fanatiques.



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