Titus n'aimait pas Bérénice by Nathalie Azoulai

Titus n'aimait pas Bérénice by Nathalie Azoulai

Auteur:Nathalie Azoulai [Azoulai, Nathalie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: POL Editeur
Publié: 2015-08-19T22:00:00+00:00


Le roi veut conquérir la Flandre. Il fait passer le contingent militaire de cinquante à quatre-vingt-deux mille hommes et le place sous le commandement de Condé. Il ne va pas encore au front mais c’est imminent. Jean a parfois du mal à imaginer que ce jeune homme qui danse et prise la poésie se couvre un jour de boue et de sang. Après tout, se dit-il, chacun son théâtre d’opérations. Si nous progressons ensemble, mes pièces seront jouées partout tandis qu’il conquerra de nouveaux pays. Et tandis que je régnerai sur les esprits, il sera le maître des corps. Jean pourrait se sentir désavantagé par une telle répartition, mais c’est tout le contraire : le parallèle fouette ses idées à si grands coups qu’il ne détaille pas, ne pinaille pas, uniquement porté par la symétrie, l’équivalence des actions du roi et les siennes.

Je ferai couler les larmes et lui le sang, confie-t-il à Du Parc.

Elle sourit, s’approche, s’offre sans réserve ni dérision. La modestie ne paie pas, pense-t-il.

Partout on parle de cette nouveauté qu’est Andromaque, ce ton, cette majesté, ces personnages profonds, ce leurre de génie qui consiste à faire passer Andromaque et Pyrrhus pour les héros tandis que la scène ne vibre que sous les coups d’Hermione et d’Oreste. On loue le lamento d’Andromaque, la constance de son amour ; on commence à parler d’une langue singulière. Nicolas lui rapporte aussi des propos plus mitigés : on n’a jamais vu une amoureuse aussi mauvaise que son Hermione, un esprit aussi malade qu’Oreste. Tout de même, deux grands héros traités comme des misérables.

Et pourtant, les gens sont émus, n’est-ce pas ? s’agace Jean.

Oui, répond Nicolas, les femmes en particulier. On dit même qu’il y aurait une femme en vous.

Tant mieux. C’est la preuve que son troisième étage est désormais habité, que Didon ne s’y égare plus seule, qu’une autre silhouette y va et vient, un peu la sienne, un peu autre. Il sait que dans son théâtre infusent désormais ses lectures, ses modèles, ses ambitions mais surtout de la chair, de la vraie chair humaine, blessée, comblée, impatiente.

Mais Jean n’en dit rien. Il se contente de remercier Nicolas pour ce soutien constant qu’il lui apporte, et continue à se cacher de lui quand il est miné, rongé par l’idée qu’elle est avec un autre, qu’elle ne viendra pas, qu’elle lui mentira encore et encore. Il fait dire n’importe quoi, qu’il est souffrant, nauséeux, migraineux. Il ne veut voir personne qu’elle mais elle ne vient pas. Rien ne le calme, ni Ovide, ni Sénèque, ni les gazettes où on encense ses alexandrins. À quoi lui sert d’être glorieux s’il est malheureux ? De plus en plus souvent, il voudrait que les caresses qui ne sont pas pour lui, elle n’ait plus ni bras ni jambes pour les donner à d’autres, cette traînée, cette fille de rien. Ses pensées frottent un linge rêche sur sa peau. Il a réussi à montrer sur scène ce harcèlement de l’âme qui fulmine, qui fait déclamer comme on se dénude.



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