Temps pascal by Daniel Poliquin

Auteur:Daniel Poliquin
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782894235676
Éditeur: Prise de parole
Publié: 2012-12-20T00:00:00+00:00

***

Le patron du restaurant chinois a l’air d’un bon gars. Médéric lui fait un clin d’œil en entrant et va s’asseoir directement au comptoir. Le Chinois lui sourit. Il doit avoir l’habitude des Blancs, ou alors il a peut-être peur de Médéric mal habillé. Il parle l’anglais sans accent, les deux se comprennent vite. Dutrisac connaît quelques mots de cantonais. De clin d’œil en sourire entendu, Médéric lui fait comprendre qu’il aimerait bien un peu de vin ou de bière avec son repas chinois à emporter. Le Chinois lui tend un bout de papier et lui dit d’écrire sa commande. Il a compris que le vieux a envie de faire un petit party au motel avec une amie. Il n’a rien contre, ça encourage le commerce; en plus, le pourboire sera sûrement bon. Médéric a l’habitude des bootleggers, son Chinois n’est pas différent des autres. Il écrit: une douzaine de roulés chinois, du riz blanc, du poulet aux herbes et du bœuf à l’ananas. Au verso, il ajoute les mots «soft drinks». Prière de livrer à la chambre 16 du motel Balmoral de l’autre côté de la voie ferrée. Médéric paye, bien, et sort.

Dehors, seul le néon rouge du dragon chinois trompe la noirceur. Les lampadaires sont morts, les magasins aussi: le blackout. «La police a peur. Elle veut éviter les marches de nuit. Ça fait trop d’effet.» Médéric ricane et se dépêche parce qu’il fait un froid pour les ours. Il est fatigué mais content. «On dirait que ça fait longtemps que je suis parti. On dirait même que le voyage refuse de commencer. Faut déguerpir d’ici au plus sacrant.» Il a froid maintenant. Il marche vite sur la neige aplatie par tout le monde qui est passé avant, qui lui rappelle qu’il n’est pas seul ici. Jacinthe l’attend au Balmoral, le motel le plus cheap de Sudbury, le seul qui fait payer les clients avant. Jacinthe l’attend là.

Médéric arrive au motel au pas de course. Jacinthe lui ouvre la porte de la chambre, habillée de presque rien.

– Entre! Vite. Tu as trouvé quelque chose à manger?

– Oui. Ça vient.

– J’ai faim. Tu as froid? Tu es gelé...

– Le Chinois sera ici bientôt. On gèle dehors.

C’est tout ce qu’il trouve à dire à Jacinthe, nue sous sa chemise, avec ses gros bas de laine aux pieds parce qu’on gèle dans le motel aussi.

– Tu as le temps de prendre un bain. Ça te fera du bien. Il est déjà prêt.

Médéric prend son bain, son premier vrai bain depuis trois ans, avec de l’eau qui coule toute seule et du savon qui sent le parfum de femme. Le même que Jacinthe. Médéric se déshabille frileusement et sourit en pensant qu’il a l’habitude des bains de neige l’hiver: il sort de la cabane quand il neige – parce qu’il fait moins froid – et il se frictionne tout nu avec des flocons. Pour réveiller le sang et le cerveau. Il ne rentre que lorsqu’il a froid aux pieds. Il a appris ça d’un Russe, Ilya, à Archangelsk, en Russie.

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