Soudain, seuls by Autissier Isabelle

Soudain, seuls by Autissier Isabelle

Auteur:Autissier, Isabelle [Autissier, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Aventures, Littérature française
ISBN: 9782234077102
Éditeur: Stock
Publié: 2014-12-31T23:00:00+00:00


Combien de fois a-t-elle pensé mourir ? Combien de fois a-t-elle vu son cadavre desséché, gisant dans la position baroque où la chute l’a abandonnée, vêtements éclatés, chairs à nu fouillées par quelques pétrels ? Elle ne sait plus, mais qu’importe. Rien ne compte maintenant que l’ultime concentration qu’elle développe pour mettre un pied devant l’autre, pour forcer ce corps souffrant à se mouvoir, encore et encore.

Elle ne compte pas les jours : cinq, six, peut-être sept. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle n’a pas mangé, quand le dernier manchot a été fini. Son ventre l’a brûlée de faim, la tête pesait comme une enclume, puis elle s’est sentie légère, aussi vide que les coquillages qui caracolent sur la grève. Elle est passée au-delà de la faim.

Elle pense peu et mal, son esprit divague, saute d’un souvenir à l’autre, mêlant sa vie d’adolescente, le drame du naufrage, sa rencontre avec Ludovic. C’est dû aussi au manque de sommeil. Dès la première nuit, le froid glacial l’a torturée. Dans les hauteurs de l’île, il n’y a d’autre refuge que de s’enterrer dans la neige et là, recroquevillée, elle assiste impuissante à la congélation progressive de ses membres jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un petit point tiède au creux de son ventre. Alors, en pleine nuit, qu’il vente ou qu’il neige, elle se force à se relever, juste pour ne pas mourir. Les deux dernières nuits, dans la tempête, elle n’a pas dormi du tout. Elle s’est tenue plus ou moins à l’abri d’une falaise et a fait les cent pas jusqu’au jour, persuadée que, comme la chèvre de M. Seguin, elle mourrait avant l’aube. Et puis non. Elle n’est pas morte. Maintenant, elle descend lentement une pente de neige abrupte et en bas, à peine visible à travers la brume et sa vue troublée, il y a deux toits rouges au bord de la mer.

Rien ne s’est passé, bien sûr, selon le scénario qu’elle s’est imprudemment bâti en partant. Dès le premier jour, le glacier s’est avéré diabolique. La glace, sous pression, éclate en mille pans, en mille blocs, formant un capharnaüm infranchissable. Elle a donc décidé de le contourner par le haut. Elle a peiné, tantôt le long de la rimaye, tantôt dans le fouillis de crevasses qui la mènent une fois sur deux à un cul-de-sac. Parfois elle se coule dans une faille, plongeant au cœur même du glacier, empruntant d’obscurs sentiers entre deux falaises froides et translucides. Ensuite, elle doit tailler péniblement des marches pour s’en extraire. Le premier soir, elle a réussi à allumer un petit feu à même la roche, environnée de cette glace à laquelle la flamme tremblotante donne des reflets rouge et or, la faisant paraître vivante. Elle n’a quasi pas réussi à faire cuire son manchot, mais la chair tiédasse s’est avérée réconfortante. C’est la seule fois où elle a pu faire du feu.

Le lendemain, le vent s’est levé et il pleuvait. À l’aveuglette, elle a mis encore la journée pour remonter le glacier.



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