Scherbius (et moi) by Antoine Bello

Scherbius (et moi) by Antoine Bello

Auteur:Antoine Bello [Bello, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General
ISBN: 2072791677
Google: m7dXDwAAQBAJ
Éditeur: Gallimard
Publié: 2018-05-01T22:00:00+00:00


Où l’imposteur n’est pas celui qu’on croit

Les séances reprennent dans mon cabinet. Je me suis donné un objectif qui semblera modeste : soutirer à Scherbius quelques éléments factuels qui me permettront d’établir son identité. Je pourrai, à partir de là, comprendre les épreuves qu’il a traversées et, qui sait, formuler un nouveau diagnostic.

C’est peu dire, hélas, qu’il ne me facilite pas la tâche. Il donne l’impression de purger une peine. Il récrimine contre tout et n’importe quoi : les horaires de nos sessions qui le privent du film de l’après-midi à la cinémathèque, la panne de l’ascenseur de l’immeuble, et, naturellement, mon « obsession malsaine à remuer le passé ».

Ces jérémiades glisseraient sur moi si Scherbius ne prenait un malin plaisir à saboter mes tentatives de percer à jour ses antécédents. Il ne cesse de se contredire, de revenir en arrière, de s’enquérir de mes préférences, comme s’il dépendait de moi qu’il fût né à Cahors ou à Bastia.

Ses mensonges sont plus ou moins élaborés. Il peut abréger la supercherie au bout de cinq minutes ou faire durer le plaisir une semaine entière. Son imagination, toujours aussi féconde, se nourrit aux sources les plus variées. Il élucubre à partir d’une photo accrochée au mur, s’inspire d’un fait divers qu’il a lu dans le journal. Un jour, l’animal me sert l’intrigue d’Un mauvais fils de Sautet, que j’ai vu la veille au cinéma avec Louise !

Il devient vite évident que nous n’allons pas y arriver. À ce jeu du chat et de la souris, Scherbius a trop d’expérience. Afin de briser la monotonie de nos séances, je lui demande s’il accepterait de prendre du Pentothal, un barbiturique plus connu sous le nom de sérum de vérité. À ma grande surprise, il y consent, en expliquant « qu’il n’a rien à cacher ».

Je le force à ingérer les deux comprimés sous mes yeux. Il avale une gorgée d’eau, déglutit, ouvre la bouche, soulève la langue. Je suis convaincu. De fait, les premiers effets de la molécule se font vite sentir. Ses gestes, sa respiration se ralentissent. Je lui pose quelques questions simples (le jour de la semaine, le nom du juge qui l’a condamné), auxquelles il répond sans détour. Y voyant un gage de sa bonne volonté, je lui demande quand il est né. La date fuse : 21 juin 1955. J’en reste momentanément sans voix : Scherbius aurait dix ans de moins que je ne pensais ! Je profite de ce qu’il a les yeux fermés pour chercher sur ses traits les marques du passage du temps. Le front est lisse, exempt de la moindre ride ; sillons nasogéniens imperceptibles ; pas de cernes ou de poches sous les yeux : on ne peut pas exclure qu’il ait vingt-cinq ans.

Il répond tout aussi volontiers à mes questions suivantes. Il est né à Jœuf, en Lorraine. Sa mère, Anna, est fille de cafetier. Son père, Aldo, professeur de mathématiques, a poussé très tôt son garçon vers le football. Scherbius a fait ses classes à l’AS Jœuf, où il se signale par un sens du but hors du commun.



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