Saint Louis by Jacques Le Goff

Saint Louis by Jacques Le Goff

Auteur:Jacques Le Goff
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-09-14T16:00:00+00:00


UN TÉMOIN CRÉDIBLE

Mais le livre de Joinville est un ouvrage si singulier qu’il faut, avant de l’utiliser comme voie d’accès à Saint Louis, se poser quelques questions. Il faut d’abord s’interroger sur la crédibilité de souvenirs écrits, pour la partie essentielle qui relate la croisade, plus d’un demi-siècle après les événements. Souvenons-nous d’abord que la société médiévale, où l’écrit est minoritaire, est une société de la mémoire qui y est plus forte, plus longue, plus précise que dans une société de l’écrit comme la nôtre. Il est d’autre part possible — des études philologiques et linguistiques comme celles de Jacques Monfrin ou de Michèle Perret en apporteront peut-être la preuve — que Joinville ait plus tôt (peut-être dès après la mort du roi, dont le souvenir était devenu le centre de son être et de sa vie) rédigé des Mémoires. En tout cas, le sénéchal a évoqué, lors de l’enquête du procès de canonisation en 1282, quelques traits de Saint Louis donnés comme preuves de sa sainteté qui ont été consignés dans le procès. Ces souvenirs constituent aussi un jalon pour la Vie5. Enfin, la vivacité même de cette mémoire du roi en lui a dû maintenir vivants ses souvenirs. Joinville, comme l’a bien noté Michel Zink, a une mémoire affective qui conserve le souvenir des images émouvantes et des sentiments qui y sont liés. Elle déborde même la personne du roi, encore qu’elle semble comme naître avec la première rencontre du jeune Joinville, âgé de dix-sept ans, avec Louis, en 1241, lors du grand banquet donné par le roi à Saumur où la cour plénière était réunie à l’occasion de la chevalerie de son frère Alphonse. De cet épisode Joinville garde d’ailleurs le souvenir qu’il relate dans une remarquable description6. Mais cette mémoire du roi cristallise surtout autour de la croisade, le grand moment de la vie de Joinville, d’abord parce que cette expérience a représenté pour la plupart des croisés un temps fort ; ensuite parce qu’elle a introduit le sénéchal dans l’intimité du souverain. Elle fut aussi la cause d’un grand déchirement pour Joinville dont le cœur a oscillé entre Dieu et le roi d’un côté, sa famille, sa terre et son château de l’autre. Toute la contradiction dramatique d’une mentalité féodale est là. « Le jour que je partis de Joinville… » Le récit est célèbre :

Cet abbé de Cheminon me donna mon écharpe et mon bourdon ; et alors je partis de Joinville, sans rentrer au château jusques à mon retour, à pied, sans chausses et en chemise ; et j’allai ainsi à Blécourt et à Saint-Urbain, et à d’autres reliques qui sont là. Et pendant que j’allais à Blécourt et à Saint-Urbain, je ne voulus jamais retourner mes yeux vers Joinville, de peur que le cœur ne m’attendrît du beau château que je laissais et de mes deux enfants7.



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