Récits de la Kolyma by Varlam Chalamov

Récits de la Kolyma by Varlam Chalamov

Auteur:Varlam Chalamov [Chalamov, Varlam]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie
ISBN: 2864323524
Éditeur: Verdier
Publié: 2003-09-30T16:00:00+00:00


Alias berdy

Une anecdote qui s’est transformée en symbole mystique… Une réalité vivante, car des personnes réelles ont bien côtoyé le lieutenant Kijé [1] comme s’il avait été un être vivant ; tout ce que Iouri Tynianov a si bien raconté, je ne l’ai pas considéré pendant longtemps, comme le récit d’un fait réel. Pour moi, l’histoire étonnante des temps de Paul n’était qu’un trait d’esprit génial, une méchante plaisanterie de quelque puissant oisif de l’époque, qui s’était transformée, à l’insu de l’auteur, en un témoignage éclatant sur les traits caractéristiques d’un règne. La sentinelle de Leskov [2] est une histoire qui se situe sur le même plan, qui atteste de la permanence des mœurs de l’autocratie. Mais le fait même du « lapsus écrit » du tsar m’avait inspiré des doutes… jusqu’en 1942.

Ce fut le lieutenant Kourchakov qui découvrit l’évasion, à la gare de Novossibirsk. On sortit tous les détenus du wagon et on les compta sous une pluie fine et froide, on les passa en revue d’après la liste des articles et des peines – en vain. Il y avait trente-huit rangs de cinq et, au trente-neuvième rang, il n’y avait qu’un homme au lieu de deux, comme au départ. Kourchakov maudit l’instant où il avait accepté de prendre le convoi sans les dossiers pénitentiaires, avec tout juste une liste, où l’évadé figurait sous le numéro soixante. La liste était froissée ; de plus, il n’y avait pas moyen de la protéger de la pluie. Kourchakov était tellement troublé qu’il arrivait à peine à déchiffrer les noms ; d’ailleurs, les lettres étaient réellement floues. Le numéro soixante n’était pas là. On avait déjà parcouru la moitié du chemin. On punissait sévèrement ce genre de bévue et Kourchakov faisait déjà son deuil des galons et de la ration d’officier. Il avait également peur d’être expédié au front. C’était la deuxième année de guerre, mais Kourchakov avait eu la chance de servir dans la garde d’escorte. Il s’était taillé une réputation d’officier consciencieux et soigneux. Des dizaines de fois, il avait escorté des convois, grands et petits, il en avait transporté par le train, il avait même été chargé de convois spéciaux et n’avait jamais eu d’évasion. Il avait reçu d’ailleurs la médaille du « mérite militaire » – on décernait aussi de telles décorations aux fins fonds de l’arrière.

Assis dans le wagon où se trouvait la garde, Kourchakov, de ses doigts tremblants, glissant à cause de la pluie, examinait le contenu de son malencontreux pli : le certificat de ravitaillement, la lettre de la prison adressée au camp où il emmenait le convoi et la liste, la liste, la liste… Or, dans tous les papiers, à toutes les lignes, il ne voyait que le chiffre 192. Cent quatre-vingt-onze détenus étaient enfermés dans des wagons hermétiquement clos. Les gens, trempés, juraient et, après avoir ôté leurs vestons et leurs manteaux, s’efforçaient de les faire sécher au vent qui passait par la fente des portes du wagon.

Kourchakov était désorienté, accablé par cette évasion.



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