Récits d'un Chasseur by Tourgueniev Ivan Sergueïevitch

Récits d'un Chasseur by Tourgueniev Ivan Sergueïevitch

Auteur:Tourgueniev, Ivan Sergueïevitch [Tourgueniev, Ivan Sergueïevitch]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles, Fiction
Éditeur: Feedbooks
Publié: 1874-03-01T23:00:00+00:00


KASSIAN DE LA KRASSIVAÏA METCHA

Je revenais de la chasse dans une telega sautillante, un jour d’été nuageux (ces jours-là, on le sait, les chaleurs sont plus lourdes que dans les jours clairs, surtout quand il n’y a pas de vent). Je sommeillais, cahoté en tous sens, particulièrement morose, en proie à cette fine et pénétrante poussière des grands chemins, lorsque je fus brusquement réveillé par l’agitation insolite de mon cocher, lequel, jusqu’alors, avait dormi plus profondément que moi. Il tirait les rênes, s’agitait sur son siège et grondait les chevaux en regardant obliquement çà et là. J’examinai les alentours. Nous traversions une grande plaine labourée, accidentée de collines, labourées elles-mêmes, et le regard embrassait en tout au moins cinq verstes d’espace désert. Au loin, quelques massifs de bouleaux coupaient seuls, de leurs têtes arrondies, la ligne presque droite de l’horizon, entouraient les collines. Sur l’une de celles-ci, à cinq cents pas de nous, je distinguai un convoi. Ce convoi était précisément la cause de l’extraordinaire agitation de mon cocher.

C’était un enterrement. Sur le devant d’une telega, attelée d’un seul cheval qui allait au pas, se tenait assis un prêtre, à côté du prêtre le sacristain guidait ; derrière la telega, quatre moujiks tête nue portaient un cercueil recouvert d’un linceul en toile blanche ; deux babas suivaient. La voix faible et dolente de l’une d’elles parvenait jusqu’à moi ; j’écoutai : elle hurlait. C’était une chose triste que d’entendre, au milieu de ces campagnes désertes et désolées, cette cantilène monotone. Mon cocher fouetta ses chevaux. Il tenait à dépasser le convoi ; car c’est un mauvais présage, on le sait, que d’être arrêté dans son chemin par un convoi funèbre. Il réussit à dépasser le carrefour avant que le mort n’eût atteint notre route. Mais il n’était plus qu’à cent pas de nous, quand tout à coup la telega s’ébranla vivement, craqua et faillit verser. Le cocher arrêta court, fit de la main un geste de dépit et cracha.

– Qu’y a-t-il donc ? lui demandai-je.

Il descendit sans me répondre et sans se hâter.

– Mais qu’y a-t-il donc ?

– L’essieu est cassé…, brûlé, dit-il maussadement, et il rajusta la douga[64] de la korennaïa si brusquement que le cheval faillit tomber sur le flanc. Il s’ébroua, se secoua et se mit à se lécher la jambe au-dessus du genou. Je descendis, légèrement vexé de la malencontre. La grande roue droite était faussée, déviée et soutenait à peine la petite roue de gauche.

– Qu’allons-nous faire ? demandai-je enfin.

– Voilà la cause de tout le mal, dit le cocher en montrant du manche de son fouet l’enterrement qui venait à nous. Il y a longtemps que je connais ça. C’est un présage sûr… Rencontrer un mort, oui…

Et il se mit à tourmenter de nouveau la korennaïa qui prit le parti de ne plus bouger du tout, remuant seulement parfois sa queue, modestement. Quant à moi, j’allais et venais, je m’arrêtais devant la roue. Cependant, le convoi nous avait rejoints. Il descendit sur la pelouse du bas-côté de la route sans interrompre sa marche lente.



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