Quatre Soldats (Cadre Rouge) (French Edition) by Hubert Mingarelli

Auteur:Hubert Mingarelli [Mingarelli, Hubert]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2013-01-16T23:00:00+00:00

30

Nous retraversions le champ vers la station. Kyabine avait voulu monter sur le cheval en premier. Il se cramponnait à la crinière et regardait devant lui. Il avait un air très sérieux. Parfois il essayait de se dresser pour voir encore plus loin devant. Mais à chaque fois il manquait de perdre son équilibre. C’est Sifra qui tenait le cheval par la bride, et le gosse Evdokim qui portait le fusil et le manteau de Kyabine.

D’un seul coup Kyabine a lancé, comme si c’était quelque chose d’extraordinaire :

– Je vois la station !

Et ensuite comme si, en apercevant la station de chemin de fer, il venait d’atteindre le but de sa promenade à cheval, il a dit à Sifra :

– Arrête-toi, Sifra !

Sifra a arrêté le cheval et Kyabine a passé une jambe au-dessus de la croupe. Il s’est laissé glisser à terre et il a saisi la bride. Il a dit :

– À toi, Sifra !

Sifra a tendu son fusil au gosse Evdokim, et moi je l’ai aidé à monter. Et il s’est mis à trembler, Sifra. J’ai serré sa cheville aussi longtemps que j’ai pu. Puis tout doucement je l’ai relâchée, et le voilà grimpé sur le cheval.

Kyabine a demandé :

– C’est bon, tu te tiens ?

Sifra a murmuré que oui.

Kyabine a tiré sur la bride, le cheval s’est mis en marche, et Sifra s’est cramponné de toutes ses forces à la crinière et a dit à Kyabine, suppliant, d’aller moins vite.

Alors Kyabine a ralenti l’allure, et Sifra tout doucement s’est redressé sur le cheval, et finalement s’est tourné, et il a souri vers nous.

Alors moi à ce moment-là, écoutez, j’ai contemplé le sourire plein de confiance de Sifra, parce qu’à présent Kyabine menait le cheval comme il faut. Et j’ai contemplé la démarche lente et rassurante de Kyabine, et Pavel était là aussi qui marchait à côté de moi, alors j’ai été tout d’un coup plein d’émotion parce que chacun était à sa place, et parce qu’il m’a semblé aussi qu’à cet instant chacun de nous était très loin de l’hiver dans la forêt. Et que chacun de nous était aussi très loin de la guerre qui allait reprendre parce que l’hiver était fini.

J’ai détourné les yeux, j’ai regardé le champ et le ciel, et la silhouette de Pavel a continué d’avancer à côté de moi.

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