Portrait du Gulf Stream - Eloge des courants. Promenade by Orsenna Erik

Portrait du Gulf Stream - Eloge des courants. Promenade by Orsenna Erik

Auteur:Orsenna, Erik [Orsenna, Erik]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: La Gang™
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Seuls deux d’entre eux sont d’une taille plus imposante : le manoir, un vaste chalet de style helvétique où les anciens avaient coutume de se réunir. Et le musée du Poisson séché. Qui est, en fait, le merci suprême. Car sans morue, pas de Å.

Pas de Lofoten non plus et peut-être pas de Norvège. C’est pour pêcher ce poisson que des hommes depuis dix mille ans se sont installés sur ces rivages plutôt inconfortables.

Les morues choisissent janvier à février, c’est-à-dire la nuit, pour venir ici se reproduire (est-ce un effet de leur pudeur ?). Aucune pêche industrielle. De petits bateaux familiaux s’en vont cueillir la manne, dans des zones précisément délimitées par des repères tracés sur les montagnes : les filets au nord, les lignes au sud. Ou l’inverse.

On revient chaque jour les cales pleines.

Pour se faire de l’argent de poche, les jeunes coupent les langues. Le reste de la famille étend les prises sur de longs tréteaux et les abandonne trois mois au bon vouloir du vent, du soleil et de la pluie. Comme pour le vin, certaines années sont meilleures que d’autres.

Les Italiens, paraît-il, sont les meilleurs clients du poisson séché, mais aussi les plus exigeants. On ne la leur fait pas. D’où le rôle crucial du trieur. D’un coup d’œil, il sait distinguer les quatorze qualités. Huit pour l’Italie du Nord (Ragno, Westre Magro 60/80, grand premier, Westre Piccolo…) et six pour l’Italie du Sud (Brema, Hollender, Westre Ancona…). Il les répartit entre les caisses de bois bellement tamponnées d’encre noire.

L’Afrique n’a pas les moyens de s’offrir mieux que les têtes. Å en exporte des tonnes au Nigeria. On dit que, bouillis longuement et relevés de piment, ces crânes sont très appréciés par les populations locales et leur fourniraient un complément nutritif non négligeable.

Ce musée du Poisson séché, the only one of its kind in the world (tél. : 76 09 12 11) est un modèle de savoir et de piété quasi filiale.

Tout ce qui a trait de près ou de loin au cher poisson est ici présenté et amoureusement présenté : des dizaines de filets, des milliers d’hameçons, mais aussi la balance à peser les morues, la pierre pour écraser les morues, la machine à glue pour conserver les morues, etc. N’oublions pas le King Cod, le roi morue. C’est un poisson à front haut. Chaque pêcheur le clouait sur un mur de sa cabane. Selon la forme des traces d’humidité que ce cadavre laissait sur le bois, on en déduisait le temps à venir.

Le plancher du musée est branlant et de bois brut. Ce qui donne la double impression de marcher sur le pont d’un bateau et en même temps sur le fond de la mer. Car, juste au-dessus de nos têtes bougent lentement de sinistres mobiles jaunâtres : des… morues de toutes tailles accrochées au très bas plafond par du fil de pêche.

Bravo, Å !

Ce tourisme intelligent et doux, cet hommage à la bête ô combien nourricière, ne méritent que des éloges.

On sent, dans l’air de Å, une sagesse née d’un contact direct et millénaire avec les éléments.



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