Par les routes by Sylvain Prudhomme
Auteur:Sylvain Prudhomme
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2019-08-21T22:00:00+00:00
21
Quelques jours plus tard Marie a trouvé la grille de la maison ouverte.
Tu es là, elle a simplement dit en poussant la porte.
Elle ne m’a pas raconté la scène, c’est moi qui l’imagine. Je la vois qui entre, qui le devine attablé à la cuisine, à son endroit de prédilection, très exactement en face de la fenêtre, par laquelle il peut contempler le jardin, le rosier, boire son café sans cesser de guetter les oiseaux qui picorent la terre noire.
Tu es là.
Ces mots dits d’une voix calme. Sans joie ni animosité. Comme un constat.
J’ignore ce que l’autostoppeur répond. Je ne sais pas si Marie est longtemps distante. Ou si au contraire l’autostoppeur par une de ces pirouettes dont il a le secret réussit à lui arracher un sourire, à la toucher à nouveau.
Je veux croire qu’elle résiste. Qu’elle met quelques minutes au moins à lui revenir. Que notre plage a tout de même laissé des traces.
La vérité : je m’en fous. Je ne veux pas penser à cette scène. Je déteste y penser.
Je n’ai pas tout de suite su que l’autostoppeur était rentré. Je suis resté plus d’une semaine sans voir Marie ni Agustín. Je me suis demandé pourquoi Marie ne faisait plus signe. Je me suis inquiété. J’ai eu de la peine.
Et puis un jour sur la place j’ai aperçu l’autostoppeur et Agustín marchant côte à côte. L’autostoppeur commandant une gaufre au sucre pour Agustín. L’attrapant toute chaude encore des mains du vendeur, déposée sur un morceau de carton. La tendant au gamin.
Il m’a vu.
Sacha.
Je me suis approché d’eux. Agustín m’a dit bonjour en enfournant une grande bouchée. Nous avons cherché que dire.
Agustín m’a raconté la plage.
C’était bien, j’ai acquiescé. On a passé un bel après-midi.
Et toi, j’ai dit après un temps.
Il a cherché ses mots.
Moi je suis fatigué.
Fatigué du voyage, j’ai demandé.
Fatigué surtout du retour, il a souri faiblement.
J’ai attendu. Il a hésité.
C’est compliqué.
J’ai regardé ses petits yeux. Ses cheveux mal lavés. J’ai compris que les nuits étaient courtes. Qu’à la maison Marie et lui parlaient.
Ça va Marie.
Il a acquiescé doucement.
Ça va.
Je les ai regardés s’éloigner. Agustín appliqué à manger sa gaufre. Tout entier absorbé dans cet effort : empêcher que la moindre pincée de sucre glace tombe à terre. Marquant une pause à chaque nouvelle bouchée à engloutir. L’autostoppeur se retournant chaque fois d’un air un peu las. Lui disant d’avancer. L’attendant. Forcé de faire ce que font tous les parents du monde : attendre. Le gamin finissant de fourrer le nouveau pan de gaufre dans sa bouche. Courant 10 mètres pour revenir à la hauteur de son père. Tous les deux repartant.
Je me suis demandé s’il allait tout arrêter. Si tout allait se terminer ainsi. L’autostoppeur rentré. Définitivement revenu. Un moment j’y ai cru.
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