Odorama by Jannelle Geneviève

Auteur:Jannelle, Geneviève [Jannelle, Geneviève]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Québécoise, Littérature Canadienne
ISBN: 9782896494187
Éditeur: Bad Lama - TAZ
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

D’abord, faire revenir l’ail et le piment pecorino dans une bonne huile d’olive extra-vierge, pressée à froid. Ajouter les tomates (italiennes), puis les olives (vertes et noires), suivies des caprons et des câpres. Le tout servi sur un spaghetti cuit à la perfection (al dente, lancer sur le mur pour vérifier) avec beaucoup de poivre grossièrement moulu et de parmesan frais râpé. C’était la recette officielle; Laurent y ajouta des anchois et, pour lui, faire preuve de ce genre d’initiative, c’était complètement fou.

En sortant de l’Orphéon, il avait erré sur le boulevard sans regarder le fleuve, sans autre but que celui d’assimiler l’information qu’il venait de recevoir de plein fouet, mais se découvrant dénué des ressources intérieures pour y arriver. Sa vie venait de lui échapper pour la seconde fois, répandue sur le sol en une flaque huileuse et il la contemplait, se demandant comment la remettre en pot. Il eut, sur le coup, une impulsion violente dirigée contre Sofia: la jeter, comme elle l’avait jeté, la remplacer par Sofi-B, bien enfoncée dans la prise électrique de la chambre à coucher, diffusant son odeur doucereuse. Son odeur apaisante de stupre, tu veux dire? Son réconfortant arôme de femme infidèle, peinturée de sécrétions diverses? Laurent s’était calmé. Depuis sa plus tendre enfance, il avait vécu comme ces immenses troncs d’arbres descendant le fleuve, attendant la poussée d’un draveur ou la dent d’un castor pour varier leur trajectoire, se laissant simplement porter par le courant. À l’exception de son choix de carrière, tout avait toujours été décidé pour lui. Si la situation actuelle était aussi dérangeante, c’est qu’elle exigeait de lui une trop grande capacité décisionnelle, trop d’autonomie. Personne ne pouvait lui dire s’il devait ou non accepter la trahison, personne pour lui dicter sa réaction. Laurent oscillait entre la colère et une envie forte que les choses continuent à couler, sans obstacle, sans surprise. Pour cette raison, en moins d’une heure, la chose à faire s’imposa comme une évidence: il ne quitterait pas Sofia, ne l’affronterait même pas. Il lui faudrait trouver le moyen d’éponger le dégât, d’apprendre à composer avec le cerne, à vivre autour. Ravaler. Partir, il ne pouvait pas. Retourner dans le tunnel? Dans une vie meublée d’absences, petites et grandes, où chaque objet existait doublement dans le vide créé par sa disparition? Non. Il se jugeait pathétique, dépendant, méprisable, mais vivait relativement bien avec cet état de fait. Mieux valait être deux cloportes qu’un papillon seul. Point.

Laurent avait eu besoin de croire, à un certain moment, que Sofi-B saurait le combler à elle seule, qu’il pouvait se passer du reste, mais une odeur ne prenait pas de décisions. Il lui fallait aussi la poigne, l’autorité rassurante de celle qui sait ce qu’il faut faire. Une présence maternante. Quitte à rouler son orgueil en boule et à se l’enfoncer dans l’orifice de son choix. Il se consolait en se répétant qu’elle était revenue vers lui dénuée de cette horrible odeur d’homme, qu’il regrettait d’avoir traquée. Elle avait dû le quitter pour aller faire le ménage dans cette sale histoire.

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