Nouvelles complètes by Aymé Marcel

Nouvelles complètes by Aymé Marcel

Auteur:Aymé, Marcel
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles, Littérature française
Éditeur: Gallimard
Publié: 2002-12-15T00:00:00+00:00


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Première publication dans Candide, 4 janvier 1939. Repris une première fois en album au format cahier d’écolier illustré par Nathalie Parain, Gallimard, 1939 ; puis dans l’édition de la collection « Blanche » de 1964.

Le mouton

Assises au bord de la route, les pieds pendants au revers du fossé, Delphine et Marinette caressaient un gros mouton blanc que leur oncle Alfred, un jour qu’il était venu à la ferme, leur avait donné. Il posait sa tête tantôt sur les genoux de l’une, tantôt sur les genoux de l’autre et ils chantaient tous les trois une petite chanson qui commençait ainsi : « Y a un rosier dans mon jardin ». Cependant, les parents vaquaient dans la cour au milieu des bêtes de la ferme et paraissaient fort mal disposés à l’égard du mouton. Ils le regardaient de travers et disaient entre leurs dents qu’il faisait perdre leur temps aux petites et qu’elles eussent été mieux à faire du ménage et à ourler des torchons qu’à jouer sans cesse avec cette sale bête.

« Si jamais quelqu’un nous débarrasse de ce gros frisé, il sera le bienvenu. »

Il était midi moins 20 et la cheminée de la ferme fumait. Tandis que les parents marmonnaient ainsi, apparut au détour de la route un soldat qui s’en allait à la guerre, monté sur un fier cheval noir. Voyant qu’il y avait du monde pour le regarder passer, il voulut faire caracoler sa monture afin de paraître à son avantage, mais au lieu de lui obéir le cheval noir s’arrêta pile et lui dit en tournant la tête : « Qu’est-ce qui vous prend, vous, là-haut ? Vous trouvez sans doute que ce n’est pas assez d’aller par les chemins sous un soleil de plomb avec, sur mon dos, un ivrogne mal affermi ? Il vous faut encore des gambades ? Eh bien, moi, je vous avertis…

— Attends un peu, maudite carne ! coupa le soldat. Je m’en vais t’arranger d’une façon à te remettre dans l’obéissance. »

Aussitôt, il enfonça ses éperons dans les flancs de l’animal et tira brutalement sur la bride. Le cheval se cabra, puis se mit à ruer si haut et si fort que le cavalier, passant par-dessus l’encolure, tomba à plat ventre au milieu de la route, dont il eut le menton et les mains écorchés et son bel uniforme tout souillé de poussière.

« Je vous avais prévenu, dit le cheval. Vous avez voulu que je caracole. Eh bien, j’ai caracolé. Vous voilà content. »

Le soldat, qui se dressait sur ses genoux, n’était pas d’humeur à entendre de tels propos. Mais lorsqu’il vit s’approcher et faire le cercle autour de lui les parents, Delphine, Marinette, le mouton et toutes les bêtes de la ferme, l’humiliation le rendit furieux et, tirant alors son grand sabre, il voulut se jeter sur son cheval pour lui plonger la lame dans le poitrail. Par bonheur, les parents purent s’interposer à temps et le persuadèrent de renoncer à sa vengeance.



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