Nicolas Le Floch T13 L'inconnu du pont Notre-Dame by Jean-François Parot

Auteur:Jean-François Parot [Jean-François Parot]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2015-10-16T22:00:00+00:00

Quai Malaquais, avant de pénétrer à l’Hôtel de Juigné, il arrêta un moment Sémillante pour admirer le fleuve gris-bleu qui coulait à ses pieds. Il était parcouru par une myriade d’embarcations et, au-delà du quai de Bourbon, la masse du Louvre était adoucie par la tache verte du jardin de l’Infante. Sartine le reçut aussitôt, la tête recouverte d’un madras noué et revêtu d’une sorte de caftan à la chinoise semé d’oiseaux exotiques. Nicolas remarqua les babouches d’un jaune éclatant qui accentuaient encore l’aspect étrange de quelque personnage d’opéra ou d’un mamamouchi de comédie.

— Nicolas, j’espère qu’un bon vent vous amène ?

— La conclusion, Monsieur, de la mission confiée aux Ranreuil.

— Déjà ! Le fils vaut le père. Vous n’avez pas perdu la main. Ainsi vous avez pu joindre la Satin ?

— Monsieur, ce nom est effacé. Parlons, si vous le voulez bien, d’Antoinette Godelet ou de Lady Charwel.

— Soit, soit. Quelle susceptibilité ! Plus vous vieillissez, plus vous prenez mouche au moindre détail. Comment avez-vous prévenu la lady ?

— Je pense que la cuisine des comment ne vous intéresse guère et qu’il vous suffit de savoir que nous y sommes parvenus.

— Peut-être la manière peut avoir son importance et peser sur la suite. C’est le résultat qui importe. Quelle humeur est la vôtre !

— Il y va de la sûreté de plusieurs personnes et, par conséquent, les voies secrètes se doivent toujours, comme vous me l’avez si souvent répété, demeurer environnées de ténèbres.

Sartine mordit ses lèvres minces.

— Nicolas, vous paieriez-vous ma tête, par hasard ?

Nicolas jubilait de cet échange qui lui offrait l’occasion de tenir la dragée haute à son ancien chef. Les arguments de sa résistance étaient d’ailleurs cohérents. Évoquer le rôle de la Paulet, relater les circonstances du bal de la reine et remettre l’éventail, c’était autant de secrets qui, éventés, pouvaient conduire à de cruelles conséquences.

— Point, Monsieur, le hasard ne fait rien à la chose, j’honore mon maître.

— Bon, la suite ?

— Une phrase inquiétante et dont vous allez aussitôt envisager les conséquences.

Il tendit à Sartine un petit papier sur lequel il avait copié le message découvert sur l’éventail. Sartine saisit sur son bureau une sorte de face-à-main, le même que Nicolas avait vu offrir par la reine à la comtesse du Nord lors de la visite du couple impérial russe. Le papier fut déchiffré. Nicolas, prestement, reprit le document.

— Eh, quoi, Monsieur ! Ce geste ? Que prétendez-vous faire ?

— Rien d’autre, Monsieur, que de détruire par prudence cette phrase dangereuse qui doit demeurer dans le secret des consciences. Nous en connaissons le risque et vous en avez compris le sens. Un espion agit à Versailles au département de la Marine. Un Anglais ? Un traître français ? Qui sait ? En tous cas, cet espion s’intéresse de beaucoup trop près au port de Cherbourg que le roi entend sous peu visiter.

Il déchira l’objet du litige en petits morceaux. Un grand silence suivit ce geste. Sartine se mit à arpenter son bureau. Il arracha son madras, découvrant un crâne chauve couvert de croûtes qu’il gratta nerveusement.

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