Nêne by Ernest Pérochon

Nêne by Ernest Pérochon

Auteur:Ernest Pérochon [Pérochon, Ernest]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Plon
Publié: 1920-07-14T16:00:00+00:00


Ce monsieur Blanchard, une fois Clarandeau parti, avait promis formellement la même place à trois autres. Et, quelques jours plus tard, il s’était employé à faire nommer facteur à Château-Blanc un gars connu comme étant le plus bruyant des Jeunes catholiques, un triste gars qui avait promis de trahir, promis de voter devant témoins, à bulletin ouvert, et de faire voter les siens.

À la porte on entendit un roulement de coups de sabots, puis une voix bizarre et psalmodiante :

— Pan ! Pan !… Qui est là ?… C’est moi, Jules… Entre, mignon !… J’entrerai s’il n’y a pas de mauvais gars dans la maison et pas de bâtons derrière la porte…

Lalie, blanche de peur, courut se pendre au jupon de Madeleine, mais celle-ci se mit à rire.

— Ne crains rien : c’est Jules l’innocent qui fait son chapelet tout seul. C’est toi, Jules ?

— C’est moi Jules… Entre, mignon.

— Eh bien oui, entre !

La porte s’ouvrit et un homme parut qui, tout de suite, fit un signe de croix et cracha par terre en signe de profond dégoût.

— Tu peux t’asseoir, Jules, dit Madeleine, les mauvais gars ne sont pas ici.

L’innocent regarda derrière les meubles et sous le lit, puis il se planta au milieu de la pièce et prit à marmotter :

— Jules, pourquoi vas-tu chez les Dissidents ?… Seigneur, mon Dieu, je ne les aime pas… Jules, tu fermes la barrière de leur champ, tu vas remplir leur cruche à la fontaine… Seigneur mon Dieu, ce n’est pas vrai, vous êtes un grand menteur ! Les Dissidents, que le diable les brûle !

Il fit un nouveau signe de croix, et, tranquille, paré contre tout accident, s’assit, les pieds vers la cheminée.

Madeleine avait repris sa besogne sans trop s’occuper de lui. Elle le connaissait depuis vingt ans et elle était habituée à ses propos et à ses gestes.

C’était, ce Jules, un innocent bien curieux. Bas d’esprit plus qu’un petit enfant, il avait cependant une mémoire étonnante. Il connaissait tous les villages à cinq lieues à la ronde ; il connaissait tous les champs, tous les sentiers, tous les arbres. Par les nuits les plus noires il voyageait sans jamais s’égarer et sans jamais allonger son chemin, même dans des coins de pays où il n’était passé qu’une fois. Il savait le nom de chacun ; quelquefois, pour les jeunes, il rappelait le temps qu’il faisait le jour de leur baptême, le nom du parrain, de la marraine et si l’on avait donné des dragées. Quand on lui demandait ces renseignements il répondait tout de suite, sans chercher même l’espace d’une seconde.

Il était très doux et se fâchait seulement quand on faisait semblant de le marier et qu’on y mettait de l’insistance. Si l’on voulait se débarrasser de lui, on prenait un papier et on lisait : « Au nom de la loi, Jules l’innocent, je te marie avec… » il se sauvait à toutes jambes. Un jour que des jeunes gars avaient fait ces simagrées après avoir barricadé la porte, il les avait mordus et avait sauté à la fenêtre comme un chat.



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