Monsieur Georges by Gilles Warembourg

Monsieur Georges by Gilles Warembourg

Auteur:Gilles Warembourg [Warembourg, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


9

L’excursion m’a épuisé. Je retourne au village. Le ciel gris m’écrase, la nausée me mine, le vent me soûle, la bruine me suffoque. Elle n’a même pas souffert… Peut-on une épitaphe plus cynique ? Jean s’abandonne à sa rancœur, comme Augustine s’en remet à Dieu. De ce point de vue, leurs résignations se rejoignent. Haïr est une renonciation à comprendre, comme croire est une abdication de l’intelligence. Dans cette vallée de larmes, l’une pleure, l’autre hurle. Et moi, sur cette terre nue d’automne, je m’entête à marcher, titubant dans ma quête, soliloquant mes serments endeuillés à deux fillettes orphelines de Dieu.

Le village bout comme une soupe mijote. Les paysannes excitées tiennent leur pas-de-porte, reniflant le crime dans les tourbillons du vent, éparpillant les ragots rabâchés où chacune espère un semblant d’exclusivité. Sur la place, au seuil du bistrot, les bras croisés au-dessus des mamelles et le double menton imposant, Yvonne pérore devant une demidouzaine d’auditeurs captifs. Je ne m’attarde pas.

Il est déjà midi mais l’appétit se refuse à moi. Réfugié dans ma cuisine, je fais réchauffer du café ; j’entends le claquement de la porte d’entrée. Pour la deuxième fois de la journée, Hervé entre dans la pièce et s’effondre sur une chaise, le képi de travers. Il gémit :

— Quelle matinée !

De larges marques rouges marbrent son visage gras de sueur. Il desserre le nœud de cravate qui lui martyrise l’encolure.

— Il a fallu que ça tombe sur moi !

Mon gendarme se répète. Comme au temps où il gémissait quand je l’appelais au tableau : Pourquoi moi, m’sieur ? sans jamais admettre que c’était simplement son tour.

Je lui sers le café.

— C’est un crime, m’sieur Georges, souffle-t-il, encore incrédule.

Je hoche la tête :

— J’en ai bien peur. Ce n’est ni un accident ni un suicide.

Pourtant, si Marcelle ne s’est pas donné la mort, la manière dont elle suscitait la détestation confinait à l’autodestruction.

— Comment Albert prend-il la chose, Hervé ?

Il grimace :

— Mal ! Il reste prostré, répond à peine à nos questions. Il surveille sans arrêt la fenêtre. Il est choqué. Il a peur, je crois. Il est peut-être le prochain sur la liste…

Il se penche vers moi, la mine chafouine :

— Dites-moi, M’sieur Georges, vous pensez vraiment que le couple pouvait bien s’entendre ? La Richarde, elle lui faisait pas de cadeau non plus à Albert ! En fait, elle ne s’accordait qu’avec son chien.

J’ébauche un geste vague.

— Qui peut savoir ?

Une tempête sous un képi. Hervé récapitule sur ses gros doigts aux ongles rongés :

— Bon, voilà ce qu’on sait. Elle est allée traire les vaches à six heures, comme tous les jours. Cela lui prenait moins d’une heure, alors, bien sûr, Albert s’est étonné de ne pas la revoir. Il l’a trouvée un peu avant sept heures.

Il termine son bol, puis reprend :

— Le médecin estime que La Richarde a sans doute été assassinée vers six heures trente.

Hervé me fixe d’un air un peu perdu :

— Albert affirme qu’il n’a pas bougé de chez lui



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