monarque by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-04-21T16:24:16+00:00

15

Quand j’ai revu Pierrot au palais lundi, ça m’a fait bizarre. Il était en costume cravate, un dossier à la main, avec sa tête de cocker triste. C’était impossible d’imaginer que ce type passait ses soirées à secouer son shaker comme un malade mental ! C’était un clandestin, le Pierrot, un franc-tireur et partisan. La journée, il collaborait au palais mais la nuit, il prenait le maquis ! On passait le voir dans son bureau avec Lucien, on s’asseyait dans les fauteuils, on allumait des cigarettes. Lui continuait à travailler, comme si de rien n’était. Il nous avait dit : vous êtes ici chez vous, les jeunes. Son boulot consistait principalement à passer des coups de fil aux juges. On l’entendait dire : mais bien sûr que je respecte l’indépendance de la justice, qu’allez-vous imaginer… Tiens, à propos, j’ai parlé avec le président ce matin. Il estime que vous avez le profil idéal pour être premier président de cour d’appel… Si, si, je vous assure, il a beaucoup d’admiration pour vous…

Quand il raccrochait, il soupirait. Il prenait sa liste, cochait les noms, faisait les commentaires.

— Lui, c’est un coriace, il va falloir l’arroser à mort. Lui, c’est un roc, il faut absolument lui trouver une casserole, on va transmettre aux RG. Lui, je ne me fais pas trop de soucis, il instruit le cas de son supérieur en loge…

On rigolait bien avec Lucien. On était dans les entrailles de la bête. On en apprenait beaucoup, aussi. Quand il faisait une pause, on buvait du café, il nous racontait des histoires, il nous entraînait dans les bas-fonds de la présidence. Il nous parlait du « cabinet noir » que le Vieux avait créé en 1981 pour protéger sa vie privée, quatre-vingts gendarmes du GIGN plus dix flics des Voyages officiels regroupés dans une nouvelle structure, le Groupe de sécurité de la présidence de la République, le tout mis à disposition de la fameuse cellule antiterroriste de l’Elysée qui disposait ainsi d’une véritable petite armée privée et que dirigeait le sinistre Christian Prouteau.

— Ils étaient payés sur les fonds secrets, disposaient de vingt lignes d’écoutes administratives, ne rendaient de comptes à personne, fichaient à tout va, faisaient n’importe quoi. Les Irlandais de Vincennes, c’est eux. Le massacre de la grotte d’Ouvéa, c’est encore eux. Les micros de l’immeuble de la rue La Vacquerie, c’est toujours eux : ils voulaient piéger l’huissier du Conseil supérieur de la magistrature qu’ils soupçonnaient de balancer des infos à la presse… En pleine nuit, ils sont allés à trois poser une « bretelle », comme ils disent dans leur jargon. Le problème, c’est qu’ils se sont fait serrer comme des cons par une ronde de Police-secours ! Pliés en quatre dans le placard des branchements téléphoniques de l’immeuble avec une pince à dénuder, un Métex et dix mètres de câble !

Il se bidonnait comme tout.

— Croquignol, Ribouldingue et Filochard n’auraient pas fait mieux ! La cellule a dû faire pression sur les enquêteurs, en menacer certains, éliminer

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