Modèle vivant by Sfar Joann

Modèle vivant by Sfar Joann

Auteur:Sfar, Joann [Sfar, Joann]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782226437587
Google: AgFGuwEACAAJ
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2018-08-28T22:00:00+00:00


20

Il y a une quinzaine d’années, alors que j’étais déjà professionnel, j’ai remarqué une fille dans un magasin. Elle portait des bas résille – je précise que ce n’est pas trop mon truc. Moi j’adore le corps, à savoir les fesses, les jambes, le ventre, regarder, dessiner, embrasser, tout ça. Je n’ai jamais très bien compris la lingerie. Ça m’excite, mais pas plus qu’une jupe ou une robe ou un pull en mohair ou un cache-cœur ou bien un foulard de soie noué façon ras du cou. Je n’aime pas plus les bas résille que les collants en nylon. Je m’en fous, en général. Elle, tout de même, ça lui allait très bien. Grande blonde fine très apprêtée et qui tangue en marchant. On ne sait pas pourquoi, alors qu’on est dans un supermarché. On dirait le Titanic qui bringuebale au gré des vagues et qu’elle, la pauvre, est contrainte de rouler du cul pour maintenir l’équilibre de tout le vaisseau. Je regarde mais pas trop. Zut, elle a vu que je regardais. Je rougis dans la mesure où mon teint de moricaud le permet. Elle fait un grand sourire et marche vers moi. Je ne suis absolument pas connu à l’époque. Il n’y a absolument aucune raison qu’une très jolie fille traverse le rayon petits pois-haricots pour venir me faire une déclaration intéressante. Je me retourne, on ne sait jamais, il y a peut-être un vrai beau mec derrière ou bien par exemple un guitariste. Non, c’est pour moi. Elle se plante très près de moi. Je ne tends pas la main. Je suis particulièrement empoté dans ce genre de circonstance. Je ne me rappelle plus si je pouvais me protéger avec mon Caddie. Toujours est-il qu’elle sentait très bon, qu’elle m’a fait la bise près d’une oreille et près de l’autre, après quoi elle m’a demandé comment j’allais. J’ai répondu que j’allais vers le rayon des surgelés afin d’acheter des pommes dauphine, puisque mes capacités culinaires se limitaient à cela. Elle a ri et m’a dit que je n’étais pas facile aux Beaux-Arts. Puis elle m’a demandé si je me souvenais d’elle. Le temps que je trouve un mensonge, elle a froncé les sourcils. Puis elle s’est marrée. C’est comme les bébés, certaines nanas te font cinquante expressions à la seconde, toi, de l’autre côté du regard, tu n’as pas le temps de suivre, tu bandes, tu pleures, tu transpires, bien content si t’as pas juté dans ton bénard avant d’arriver chez Findus. Je m’en fous des pieds, je m’en fous des chaussures à talons, je m’en tamponne des bas résille, mais un pied dans un bas résille qui glisse dans une godasse à chaque pas, oui, tu vois la glissade. Et des talons carrés et une robe lamée. Qui porte ça pour aller à Carrefour ? Et le vent du système d’aération qui m’apporte et son parfum et ses mèches de cheveux dorés bouclés et un peu des odeurs pornographiques du rayon côtelettes d’agneau. Comment ça, je



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