Métamorphoses by Emanuele Coccia

Métamorphoses by Emanuele Coccia

Auteur:Emanuele Coccia [Coccia, Emanuele]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Philosophie, Littérature Italienne, A_Poster
ISBN: 9782743647353
Google: JmfTDwAAQBAJ
Éditeur: Rivages
Publié: 2020-03-16T23:00:00+00:00


La transmigration du moi et la réincarnation

Ce n’est pas un hasard si cette résistance se donne surtout à voir dans la manière dont nous concevons la mort et nous nous rapportons à elle. C’est dans le traitement et dans l’imagination de la mort que nous posons dogmatiquement que les confins de l’animation de notre corps correspondent aux limites de la vie. Ainsi, la séparation physique et symbolique que nous imposons au cadavre par rapport aux autres vivants est une marque symbolique qui permet de refouler ou oublier que la vie qui anime son corps est obligée de se transmettre à un autre, de migrer ailleurs, de changer de forme. C’est pourquoi l’un des mythes fondateurs de la religion qui a dominé en Europe pendant les vingt derniers siècles – celui de la résurrection des morts – vise explicitement l’affirmation, d’une part, d’une discontinuité substantielle entre la vie qui traverse l’humanité et celle qui anime le reste des vivants et, de l’autre, une discontinuité personnelle entre la vie de chacun des individus. Les différents corps humains divisent la vie substantiellement : il y a autant de vies qu’il existe de corps. D’autre part, la corporéité humaine est radicalement différente de celle des autres vivants – et non seulement parce qu’elle a une faculté cognitive que les autres n’ont pas : la chair des êtres humains n’a pas la même qualité que celle des autres êtres vivants.

Le mythe de la résurrection se développe en effet comme transformation – au sens que Lévi-Strauss a donné à ce terme, donc d’une modification dialectique, d’une métamorphose – du mythe, beaucoup plus ancien, de la réincarnation, qui circulait dans l’espace de la Méditerranée depuis des siècles. Dans ce mythe, toute vie excède les limites du corps qui l’héberge et se transmet ainsi de corps en corps. « Personne ne garde sa forme, expliquait Ovide, la nature rend aux uns la figure des autres », ainsi que « rien ne périt dans le grand monde, […] tout varie et change de visage ; on appelle naître commencer à être autre chose que ce qu’on était et mourir le contraire ». Cette chaîne de transformation implique tous les vivants et la planète entière : « Le ciel et ce qui est au-dessous de lui changent de forme, la terre et ce qui est en elle aussi ; nous aussi nous nous transformons, en tant que morceau du monde, car nous ne sommes pas que des corps, mais des âmes ailées, et nous pouvons faire des bêtes sauvages notre domicile ou nous cacher dans le corps des animaux domestiques. » Il y a donc une relation essentielle de la vie à la corporéité qui fait que toute individualité doit forcément, après la mort, assumer un autre corps, peu importe qu’il soit humain ou animal : la vie – ainsi que la subjectivité – n’est pas définie par la forme qu’elle traverse, au point que le sujet qui dit moi dans la forme humaine peut se reconnaître – du moins de manière limitée – dans le corps d’un rat ou dans celui d’un lion.



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