Merde à l'an 2000 by Alphonse Boudard

Merde à l'an 2000 by Alphonse Boudard

Auteur:Alphonse Boudard [Alphonse Boudard]
Format: epub
Éditeur: Le Dilettante
Publié: 2023-11-15T00:00:00+00:00


MON DÉCLIC ET MES CLAQUES

Le déclic… savoir ? Bien difficile de se rendre compte, se souvenir exact du moment où ça vous a pris, ce prurit écrivassier ! C’est un peu comme la bandaison… aux aurores de l’existence. Je ne suis en définitive qu’un raconteur d’histoires, un bonimenteur imprimé à présent, mais je le fus toujours, il me semble. Dès l’enfance, j’intéressais le cercle de mes petits copains avec des récits vrais ou inventés… les deux à la fois d’ailleurs, comme aujourd’hui dans mes romans. Je bavardais en classe, ça me valait d’aller au coin, les mains derrière le dos… les fins fonds de la classe auprès du poêle à charbon. J’aimais beaucoup tisonner, touiller les braises ; on me confiait cette corvée qui n’en était plus une puisque ça me permettait d’échapper au pire. J’ai bien failli devenir soutier au temps des bateaux à vapeur… que de vocations avortées, contrariées durant mon enfance, ma jeunesse !

À la guerre dans les cantonnements, au cours de nos beuveries, nos soldatesques rigolades, on me demandait encore de raconter des histoires. Raide comme balle, je n’y coupais pas. J’y allais de bon cœur et la bonne dose ! Plus tard, aux veillées des cellules pendant mes années de pénitence, j’ai remis la gomme, je divertissais les petites arsouilles, les tireurs, les maques, les monte-en-l’air, tous mes loquedus compagnons des mauvais jours.

Intarissable, je vous dis. Je prends la jactance et ça se déroule. J’améliore au fur à mesure des récits, je fignole, je trouve le mot au bon moment pour obtenir le rire… la larme à l’œil… les émoustilleries caleçonnières.

De l’oral à l’écrit, ce fut là le hic, le besoin de ce fameux déclic. Ça m’est venu d’une façon ferme, décisive, nette, au mitard de Fresnes l’hiver 58. Ça barrait de partout ma galère. On me promettait… les juges, les flics et même mon cher avocat, un très long séjour sur l’humidité de la paille, en divers cachots gardés soigneux par une matonnerie de tous les instants. J’avais des poumons en dentelles… mes complices à l’extérieur transformés en vent coulis… mes quatre bouts de bois saisis par les huissiers… Je vous en passe et des plus tartes ! La fin des flagdas, vous dis-je… sur toute la ligne, la fiente en flocons compacts.

Pour mieux vous situer l’ambiance dans ce mitard, il faisait froid et il faisait faim. Les mandibules et les genoux en castagnettes, je vous résume. M’est revenu alors l’exemple de Julien Blanc, un écrivain hélas oublié de nos manuels, nos anthologies. En son temps, il avait vaincu une situation encore plus chtourbeuse en écrivant un petit chef-d’œuvre, Joyeux, fais ton fourbi. En piquant le dix dans ma cellule, j’y pensais à Julien Blanc… ce qu’il avait fait, je pouvais peut-être, etc. Voilà, fallait que je me mette à l’ouvrage, que je raconte sur le papier mes aventures. Ça pouvait devenir des manuscrits… qui sait, des livres imprimés qui se liraient, qui feraient des droits d’espèces sonnantes, trébuchantes, au fond de mes fouilles. Surtout ma préoccupation… le pognon ! J’avoue sans honte.



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