Made in Taïwan by Villard Marc

Made in Taïwan by Villard Marc

Auteur:Villard, Marc [Villard, Marc]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Nouvelles
Éditeur: Rivages/Noir
Publié: 1999-08-19T22:00:00+00:00


LES YEUX NOIRS

Dans le train qui m’emporte vers Ostende, des gamins ivres de bière et de fumée ricanent entre les sièges, chahutant des blondasses aux rires niais. Un suaire gris est posé sur le ciel. Mon cœur, un bloc de glace. Dans ce tacot ferraillant où je somnole, tout mon dégoût de la vie me revient à la face. Mes derniers mois de flic à la police judiciaire, cette nausée devant la montée fasciste. Ma faim d’en finir puis le coup de fil des Blacks. Les enculés de Blackos.

— Serner ?

— Écoute, flicard, on tient ta gosse…

— Laquelle ?

— Ta gueule, enfoiré, on n’est pas des bouffons. Ta môme, ta pute de Sandy. Tiens, dis-lui à ton vieux…

— Papa, papa, c’est vrai, c’est moi !

Mon corps, un champ de ruines. Ce croassement :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Dan Volvaarde, tu te rappelles, Serner ? Le bassiste de ton groupe de merde est député à Ostende, dans son pays de babouins bouffeurs de frites. Tu vas là-bas et tu le butes, mec, c’est tout. Même un con comme toi peut comprendre.

*

* *

Ostende : frémir. Ce voyage ne finira jamais. Au bout de la voie je rentrerai dans la mer pour laver mon corps de boue.

À la sortie de la gare, l’odeur écœurante des étals de friture me fouette les sens. Des groupes emmitouflés dans des coupe-vent progressent vers le front de mer balayé par une pluie fine et serrée. Dan Volvaarde. Il était dit qu’on n’en finirait jamais, Dan et moi. Je le revois, la mèche hargneuse devant sa petite baraque près du bois d’Orlandeaux. Un côté Stuart Sutcliff, le perdant magnifique. Toutes ces gamines dans le sillage dérisoire du groupe, les championnats de twist cafardeux et Dan, appliqué et rêveur, penché sur les lourdes cordes de sa basse électrique. Ma jeunesse dans un fret Coca-Cola, milk-shake et Levi’s blanchis à l’eau de Javel. Trois ans d’amitié et de bonheur absolu puis quand cela tourne à la caricature, au médiocre, on tire sa révérence et on pénètre dans le monde ignoble des adultes. À pas comptés dans la chambre de la mariée, l’amour en sautoir, un sésame désuet qui n’arrivera jamais aux chevilles de Battler Britton.

J’ai cinquante ans, je m’appelle Jacques Serner et je voudrais mourir discrètement, sans foutre le souk. Coolos. Je voudrais oublier le nom d’Ostende et ne pas marcher vers les murs des vieux hôtels staliniens dressés face à la marée qui pousse des vagues monstrueuses sur les brise-lames. Un Ferry britannique déchire la toile jaune sale de l’horizon, progressant entre ciel et mer telle une fermeture à glissière implacable. Je ne veux pas savoir ce qui se cache derrière cette agonie. On revient toujours à Ostende. Il y a, dans une rue à marins planquée derrière la promenade envahie par les voitures à pédales des enfants, une boîte de jazz – le Blue Velvet – qui affiche aujourd’hui un trio hollandais. Je me colle à l’unique fenêtre et le pont poignant d’Alone Together me griffe la nuque.



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