Louis Lambert by Honoré de Balzac

Louis Lambert by Honoré de Balzac

Auteur:Honoré de Balzac
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: ÉFÉLÉ


* * *

Paris, septembre - novembre 1819.

« Cher oncle, je vais bientôt quitter ce pays, où je ne saurais vivre. Je n’y vois aucun homme aimer ce que j’aime, s’occuper de ce qui m’occupe, s’étonner de ce qui m’étonne. Forcé de me replier sur moi-même, je me creuse et souffre. La longue et patiente étude que je viens de faire de cette Société donne des conclusions tristes où le doute domine. Ici le point de départ en tout est l’argent. Il faut de l’argent, même pour se passer d’argent. Mais quoique ce métal soit nécessaire à qui veut penser tranquillement, je ne me sens pas le courage de le rendre l’unique mobile de mes pensées. Pour amasser une fortune, il faut choisir un état ; en un mot, acheter par quelque privilége de position ou d’achalandage, par un privilége légal ou fort habilement créé, le droit de prendre chaque jour, dans la bourse d’autrui, une somme assez mince qui, chaque année, produit un petit capital ; lequel par vingt années donne à peine quatre ou cinq mille francs de rente quand un homme se conduit honnêtement. En quinze ou seize ans et après son apprentissage, l’avoué, le notaire, le marchand, tous les travailleurs patentés ont gagné du pain pour leurs vieux jours. Je ne me suis senti propre à rien en ce genre. Je préfère la pensée à l’action, une idée à une affaire, la contemplation au mouvement. Je manque essentiellement de la constante attention nécessaire à qui veut faire fortune. Toute entreprise mercantile, toute obligation de demander de l’argent à autrui, me conduirait à mal, et je serais bientôt ruiné. Si je n’ai rien, au moins ne dois-je rien en ce moment. Il faut matériellement peu à celui qui vit pour accomplir de grandes choses dans l’ordre moral ; mais quoique vingt sous par jour puissent me suffire, je ne possède pas la rente de cette oisiveté travailleuse. Si je veux méditer, le besoin me chasse hors du sanctuaire où se meut ma pensée. Que vais-je devenir ? La misère ne m’effraie pas. Si l’on n’emprisonnait, si l’on ne flétrissait, si l’on ne méprisait point les mendiants, je mendierais pour pouvoir résoudre à mon aise les problèmes qui m’occupent. Mais cette sublime résignation par laquelle je pourrais émanciper ma pensée en la libérant de mon corps ne servirait à rien : il faut encore de l’argent pour se livrer à certaines expériences. Sans cela, j’eusse accepté l’indigence apparente d’un penseur qui possède la terre et le ciel. Pour être grand dans la misère, il suffit de ne jamais s’avilir. L’homme qui combat et souffre en marchant vers un noble but, présente certes un beau spectacle ; mais ici qui se sent la force de lutter ? On escalade des rochers, on ne peut pas toujours piétiner dans la boue. Ici tout décourage le vol en droite ligne d’un esprit qui tend à l’avenir. Je ne me craindrais pas dans une grotte au désert, et je me crains ici. Au



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