Louis et la jeune fille by Ladjali Cécile

Louis et la jeune fille by Ladjali Cécile

Auteur:Ladjali, Cécile [Ladjali, Cécile]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2006-07-31T22:00:00+00:00


Petit Louis.

42

Paris, le 27 mars 1951

Papa,

Ce soir j’organise une petite fête sous les toits. Janette, Mme Taillefer, Mme Ancelle, Lucette, et le vieux Félicien, rencontré au Lutetia l’hiver dernier, seront là. Je vais leur dire au revoir avant de partir pour Nice. Je travaille à cette petite sauterie depuis l’aube et je suis si fatiguée que j’aimerais que chacun soit déjà rentré chez lui. Mais j’ai encore la force de t’écrire (signe que je ne dois pas aller si mal) d’autant plus que je t’en veux à mort. Tu aurais dû être là, mais tu as préféré ton journal, tes presses à encre, tes imprimeurs, tes futurs chômeurs, l’actualité, à ta Lorette. Honte à toi !

Ce soir je serai pimpante, ma chambre sera impeccable, la table dressée avec l’argenterie de Lucette, la lumière légèrement tamisée et tout le monde croira que je suis heureuse. Une jeune fille, diplômée de peu et qui reçoit si bien, l’est forcément. Je laisserai l’univers penser que je suis gaie pour ne pas l’inquiéter et surtout pour qu’il me fiche la paix avec ses questions.

Dans quelques heures le monde public va très légitimement envahir mon monde privé et il faudra se forcer à sourire, à manger, à être de bonne humeur. J’aurai soin de me pincer les joues tous les quarts d’heure pour que mon sang malade y afflue et fasse croire à une santé de fer. Je serai une comédienne interprétant magistralement son rôle.

Hier soir, je suis allée au théâtre, justement. Un spectacle sur la Grande Guerre. Les acteurs lisaient des lettres de poilus. La mise en scène était très épurée, mais efficace. Juste ce qu’il fallait en intensité. Surtout ne pas en faire trop, m’avait dit Marthe, mon amie actrice, qui pour ce soir-là m’avait loué une place au paradis.

Mais, tu me connais, j’ai eu envie de voir la représentation de plus près encore et je suis restée dans les coulisses. (J’ai aussi pensé que pour le paradis il était trop tôt.)

Le point de vue que j’avais sur le spectacle de ma cachette était étrange : j’avais la sensation d’être sur scène avec les acteurs qui, bien mieux que des corps tristes et des voix défuntes, étaient de vrais personnages. Ceux de la vie, du grand roman qu’est la vie ! Et j’étais personnage moi aussi ! Je faisais partie de leur histoire, j’étais si proche d’eux, dans une telle proximité, que mon existence devenait la leur et vice versa.

La rampe, de l’endroit où je me trouvais, était une douche d’or qui enflammait les silhouettes. L’intimité (oh ! cher papa, une intimité presque amoureuse) qui reliait l’existence des acteurs à la mienne a confondu l’espace de la coulisse et celui de la scène tout le temps de la représentation.

Vois un peu : le jeune poilu, héros de ce spectacle, était assis. Il lisait son courrier à voix haute : les lettres qu’il écrivait et celles qu’il recevait. La voix servait de lien entre les deux extrémités de l’écriture. Une corde sonore, tendue entre deux absences.



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