L'homme dans la rue by Georges Simenon

L'homme dans la rue by Georges Simenon

Auteur:Georges Simenon [Simenon, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 1940-12-21T23:00:00+00:00


* * *

C’était une expérience que Maigret n’avait pas encore eu l’occasion de poursuivre jusqu’au bout : en combien de temps un homme bien élevé, bien soigné, bien vêtu, perd-il son vernis extérieur lorsqu’il est lâché dans la rue ?

Quatre jours ! Il le savait, maintenant. La barbe d’abord. Le premier matin, l’homme avait l’air d’un avocat, ou d’un médecin, d’un architecte, d’un industriel, et on l’imaginait sortant d’un appartement douillet. Une barbe de quatre jours le transformait au point que, si on avait publié son portrait dans les journaux en évoquant l’affaire du Bois de Boulogne, les gens auraient déclaré :

— On voit bien qu’il a une tête d’assassin !

Le froid, le mauvais sommeil avaient rougi le bord de ses paupières et le rhume lui mettait de la fièvre aux pommettes. Ses souliers, qui n’étaient plus cirés, paraissaient informes. Son pardessus se fatiguait et ses pantalons avaient des poches aux genoux.

Jusqu’à l’allure… Il ne marchait plus de la même façon… Il rasait les murs… Il baissait les yeux quand les passants le regardaient… Un détail encore : il détournait la tête lorsqu’il passait devant un restaurant où l’on voyait des clients attablés devant des plats copieux…

— Tes derniers vingt francs, pauvre vieux ! calculait Maigret. Et après ?…

Lucas, Torrence, Janvier le relayaient de temps en temps, mais il leur cédait la place le moins souvent possible. Il arrivait en trombe quai des Orfèvres, voyait le chef.

— Vous feriez mieux de vous reposer, Maigret…

Un Maigret hargneux, susceptible, comme en proie à des sentiments contradictoires.

— Est-ce que c’est mon devoir de découvrir l’assassin, oui ou non ?

— Évidemment…

— Alors, en route ! soupirait-il avec une sorte de rancœur dans la voix. Je me demande où on va coucher ce soir…

Plus que vingt francs ! Même pas ! Quand il rejoignit Torrence, celui-ci déclara que l’homme avait mangé trois œufs durs et bu deux cafés arrosés dans un bar du coin de la rue Montmartre.

— Huit francs cinquante… Reste onze francs cinquante…

Il l’admirait. Loin de se cacher, il marchait à sa hauteur, parfois tout à côté de lui, et il devait se retenir pour ne pas lui adresser la parole.

— Allons, vieux !… Vous ne croyez pas qu’il serait temps de vous mettre à table ?… Il y a quelque part une maison chaude qui vous attend, un lit, des pantoufles, un rasoir… Hein ?… Et un bon dîner…

Mais non ! L’homme rôda sous les lampes à arc des Halles, comme ceux qui ne savent plus où aller, parmi les monceaux de choux et de carottes, en se garant au sifflet du train, au passage des camions de maraîchers.

— Plus moyen de te payer une chambre !

L’O.N.M. enregistrait ce soir-là huit degré sous zéro. L’homme se paya des saucisses chaudes qu’une marchande préparait en plein vent. Il allait puer l’ail et le graillon toute la nuit !

Il essaya, à certain moment, de se faufiler dans un pavillon et de s’étendre dans un coin. Un agent, à qui Maigret n’eut pas le temps de donner ses instructions, lui fit prendre le large.



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