L'Etat providence by François Ewald

L'Etat providence by François Ewald

Auteur:François Ewald [Ewald, François]
Format: epub
Tags: Essais
Éditeur: Bernard Grasset Paris
Publié: 2011-10-23T06:34:49.647000+00:00


e) Les accidents du travail ont été l'occasion d'une double ligne de formation du droit social. La première est la ligne juridique de la responsabilité civile : le droit social est apparu dans ses impasses, comme son envers, comme la nécessité de combler des lacunes. Il revenait à un droit nouveau de faire disparaître ces « souffrances imméritées » que le droit commun ne parvenait pas à réduire. L'autre ligne avait comme support les pratiques de la bienfaisance : caisses patronales de secours et assurance. Sur cet axe, le droit social est né comme forme des résistances ouvrières. Face à la volonté patronale de faire de l'entreprise un lieu de non-droit, de subordination et d'assujettissement, la revendication de la liberté passait pour l'ouvrier par la mise en forme juridique des institutions qui visaient à construire sa dépendance. Il s'agissait moins d'obtenir des droits que de donner la forme du droit aux pratiques patronales de sécurité. Cela passait pratiquement par l'assurance. D'abord utilisée sur le modèle d'une institution patronale, l'assurance accidents du travail devait devenir, lors de la création de la Caisse nationale d'assurance accidents, l'occasion d'une mise en forme contractuelle de la politique de sécurité civile qui sera pour ainsi dire consolidée par la loi du 9 avril 1898. Celle-ci accomplit le rêve que E. de Girardin avait formulé en opposant droit au travail et droit du travail.

Posées primitivement, selon le principe du partage libéral, comme complémentaires, pratiques juridiques de la responsabilité civile et pratiques patronales ou étatiques des secours devaient bientôt se trouver concurrentes. L'histoire des accidents du travail est celle d'un redoutable conflit des responsabilités qui sera tranché en 1898 par la victoire de la logique sociale des entrepreneurs et des assureurs sur la logique juridique. Les patrons, dira-t-on, ont gagné. D'une certaine manière, oui : le législateur de la fin du XIXe siècle n'a rien fait d'autre que généraliser ces pratiques patronales qui ont servi de modèle à toute la pensée sociale au XIXe siècle. Mais aussi bien s'agissait-il d'une victoire à la Pyrrhus. Le législateur de 1898 a réformé, autant qu'il les a reconnues, les pratiques sociales patronales. Il a même envisagé une sorte d'expropriation des patrons de la gestion de leurs propres institutions. L'assurance, qui permettait de donner la forme du droit aux revendications ouvrières, fut l'instrument de cette réforme. Ainsi l'assurance a-t-elle pu être, à la fin du XIXe siècle, à la fois la forme, l'instrument et l'enjeu des luttes politiques et sociales. Elle était à la fois portée par les luttes et cet imaginaire à partir duquel on pouvait penser y mettre un terme. Ainsi, c'est du même mouvement qu'il a été possible et nécessaire de concevoir un droit social comme substitutif du droit civil, et que le vieil État de droit a cédé la place à une société que l'on dira, faute de mieux, assurantielle.



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