Les voyages de Merry Sisal by Gisèle Pineau

Auteur:Gisèle Pineau [NOM PRÉNOM]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Mercure de France
Publié: 2015-03-12T10:25:17+00:00

Anna avait été ravie d’apprendre que Merry était une artiste, à sa manière. Bien avant cet épisode de la mouche dans le bol de lait, elles avaient fait le tour des villas du voisinage et demandé aux gens de leur garder les vieux bouchons, les capsules, les bouteilles en plastique. Anna était coutumière de cette pratique. Cela faisait des années qu’elle récoltait les vêtements usagés pour la réalisation de ses ouvrages en patchwork. Et Merry pouvait piocher dans ses montagnes de hardes pour la confection des poupées, de leurs petites robes à volants. Des vestes, jupes, chemises et pantalons, elles récupéraient des boutons – surtout pour les rideaux de Merry, des fermetures Éclair qui – dans une nouvelle vie – viendraient fermer les sacs de plage et les pochettes vintage que créait Anna. Avec du vieux, elles faisaient du neuf, s’en émerveillaient l’une et l’autre, transformant ce qui devait finir à la décharge municipale en bel objet, dessus-de-lit, coussins, plaids. Parfois en une œuvre d’art, puisque ces derniers temps, Anna se risquait même à faire des tableaux en tissus que Raymond se chargeait d’encadrer. Au moins deux fois par semaine, elles sortaient le matin, pour faire des courses, livrer leurs ouvrages chez Liane ou à la boutique de l’hôtel Blue Palm.

Au début, il fallut qu’elles s’apprivoisent. Merry n’était guère bavarde. Ses mots étaient rares et puisés avec précaution dans son esprit avant de se présenter à ses lèvres. Anna lui posait des questions et, en attendant des réponses, elle se mettait à raconter l’histoire de sa propre vie, non pas de manière linéaire et structurée, mais par morceaux disparates, passages croustillants, bribes surprenantes, enfilant les mots crus, tricotant les images pâles, rapiéçant parfois les souvenirs au fil de l’inspiration, avec des inventions qui n’étaient pas des mensonges, seulement un apparat pour habiller le silence. Un jour, elle parla de ses parents… Sa mère morte, son père le Sénégalais qui s’appelait Élimane… Le secret bien gardé jusqu’à la disparition de la Mamoune.

Très vite, Anna fit l’inventaire d’une quantité impressionnante de points communs entre elles deux. On aurait dit des âmes sœurs qui s’étaient perdues et retrouvées. Merry demeurait timorée et retenue dans ses gestes, ses rires et ses paroles. Elle avait toujours ses moments d’absence qui la tenaient enfermée dans une geôle inquiétante. Pourtant, jamais elle n’oubliait qu’elle était l’obligée d’Anna. À sa merci. À son service… Merry restait sur ses gardes. Non, elle ne se faisait guère d’illusions. Sans papiers ni titre de séjour, elle ne pouvait prétendre être l’égale de cette femme. Cependant, il y avait des instants où des fils cachés les reliaient intimement l’une à l’autre. De manière insidieuse, presque équivoque. Et cette promiscuité invisible, virtuelle, en devenait parfois gênante. Les deux se défendaient de s’extasier de cette complicité. Elles riaient alors à des bêtises, comme pour masquer une trop vive affection.

Quand l’heure était venue de rejoindre Anna sur la terrasse, Merry savait qu’elle devrait se livrer un peu plus, répondre aux questions, à toutes les questions, bien qu’elle-même n’ait pas toutes les réponses.

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