Les Turbulences D'Une Grande Famille by Troyat Henri

Les Turbulences D'Une Grande Famille by Troyat Henri

Auteur:Troyat,Henri [Troyat,Henri]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Historique
Éditeur: Le Livre de Poche
Publié: 2002-04-16T22:00:00+00:00


Après une brève et vaine exploration dans les environs, Jacques Lebaudy s'apprêtait à regagner le canot lorsque deux bédouins loqueteux, sortis d'on ne savait où, apparurent en gesticulant et en bredouillant des paroles inintelligibles. Le plus âgé s'enfuit à toutes jambes dès que Jacques Lebaudy s'avança vers lui. Mais l'autre, un jeune Maure d'une quinzaine d'années, sembla enchanté de la rencontre. Les yeux allumés de curiosité et la bouche rieuse, il voulut toucher du doigt le fusil de Jacques Lebaudy, mais y renonça devant l'air menaçant du propriétaire et, en signe d'amitié sinon de soumission, lui baisa la main. Le futur empereur examina avec bienveillance le premier de ses sujets qui lui manifestait ainsi son obéissance. « Sous sa tunique, notera-t-il, il y avait une sacoche de cuir pendue à sa ceinture et une corne à poudre, finement travaillée, dont la forme rappelait tout à fait le cor de chasse d'Hernani à la Comédie-Française5. » Le petit Arabe se montra si spontané et si cor-dial que les marins le baptisèrent incontinent d'un prénom chrétien : Auguste (peut-être par un discret hommage à Augustine Dellière, leur impératrice !). Le gamin eût souhaité embarquer avec eux sur le canot. Mais Jacques estima que la barque serait trop chargée. « Nous reviendrons demain ! lui promit-il. Demain ! Mañana ! » Ayant regagné le Frasquita, il nota la péripétie dans le journal de bord et écrivit par la suite : « Nous mouillons dans une baie, que nous baptisons baie de la Liberté, par 28°40 de latitude nord. Nous accostons la terre en canots6. »

Averti, comme par télépathie, de l'arrivée des Français, Auguste les attendait, toujours aussi hilare, bavard et remuant. Cette fois, Jacques Lebaudy consentit à l'amener à bord du Frasquita. Là, il tenta de questionner le garçon sur les mœurs du pays, mais, faute d'interprète, la conversation, par signes et par grimaces, ne donna aucun résultat probant. L'amitié entre le peuple arabe et les conquérants fut scellée par un échange de cadeaux. Jacques Lebaudy s'appropria la poire à poudre et le poignard d'Auguste et le combla de friandises que le gamin savoura devant lui avec gourmandise en roulant des yeux. A la fin de ces manifestations de mutuelle sympathie, les matelots qui avaient procédé à l'« arrestation » du premier indigène osèrent réclamer à Sa Majesté la prime de trois cents francs qu'il leur avait promise. Cette prétention indigna Jacques Lebaudy qui s'écria avec une fureur jupitérienne : « Vous n'avez droit à rien, puisqu'il n'y a pas eu de coups de feu ! » A demi convaincus par l'argument, les membres de l'équipage n'eurent pas l'audace de contredire celui qui était sinon leur empereur, du moins leui employeur, et ravalèrent leur rancune en courbant la tête.

Après avoir passé la nuit à bord, Auguste fut ramené à terre et le Frasquita repartit à faible allure, longeant le littoral en direction de Rio de Oro, avec de brèves haltes pour la prospection de l'arrière-pays. A chaque descente des explorateurs, Jacques Lebaudy ressentait le délicieux pincement au cœur du pionnier devant un site nouveau.



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