Les trois soeurs (Qui a tué Mélanie Morin ?) (French Edition) by Galite John La

Les trois soeurs (Qui a tué Mélanie Morin ?) (French Edition) by Galite John La

Auteur:Galite, John La [Galite, John La]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: KS éditions
Publié: 2012-07-28T22:00:00+00:00


13

Le vieil Henri mourut le vingt décembre de cette année ; la veille de son quatre-vingt troisième anniversaire. Quelques jours après la visite des Allemands, un matin, il refusa de se lever. Il avait décidé de se laisser mourir.

Je restai près de lui jusqu’à la fin. Quand il ne regardait pas fixement le feu allumé dans la cheminée, il tournait le dos à la porte, recroquevillé dans son lit de cuivre, le visage contre le mur. J’essayai de lui parler mais il répondait de façon confuse ; découragé, je me plongeais dans la lecture, assis sur une chaise près du feu. Mélanie prenait ma place quand j’allais me coucher.

Le docteur vint le voir ; il disait que le vieil Henri ne présentait aucun des symptômes des maladies connues. Il fallait espérer que son esprit, troublé, reprenne le dessus. Les habitants passèrent prendre de ses nouvelles et les femmes apportèrent des remèdes pour le remettre sur pied.

Il ne mangeait presque plus, deux ou trois cuillères de soupe qu’Amancine le forçait à avaler en lui desserrant les dents. Il était épuisé ; il n’avait plus la force de réagir.

La veille de sa mort, il avait du la sentir approcher, il confia à Odette qu’il ne voulait pas que le curé vienne lui administrer l’extrême onction.

Le sol était gelé et les fossoyeurs eurent du mal pour creuser sa tombe. Une bise glacée soufflait de façon continue. Une lumière grise et froide tombait sur le petit cimetière à flanc de colline. Devant les pierres tombales il y avait de petits vases. Certains contenaient encore des fleurs flétries, ratatinées.

Je suivais le curé et les porteurs du cercueil. Les hommes avaient des cravates sombres, les femmes des fichus noirs; le pin du cercueil était de couleur claire.

Quand on le descendit dans le trou je détournai la tête. Le curé prononça son oraison mais je ne l’écoutai pas. Je pensais au vieil Henri. S’il s’était laissé mourir c’était un peu de ma faute ; je faisais le rapprochement avec le vol de sa collection ; je me disais que j’avais eu tort d’obéir, que j’aurais du inventer n’importe quoi pour ne pas montrer les cartes postales.

Ce souvenir, j’étais incapable de le chasser car les Allemands n’avaient pas disparus ; ils étaient toujours là, en chair et en os, avec leurs chiens et leurs chars. J’avais honte de ma faiblesse et de ma peur, et je me mis à les haïr.

Ainsi, je ne les avais pas détestés pour ce qu’ils faisaient aux Juifs, pour la fermeture de l’atelier de mon père et les atrocités dont on parlait devant moi ; non, je m’étais mis à les haïr pour une collection de cartes postales dont ils avaient privé un vieillard qui n’était pas mon grand-père.

Bien des années plus tard, en analysant ma réaction de l’époque, je compris qu’elle avait tout à voir avec mon sentiment de culpabilité. Pas celui de Daniel Descamps et de son univers fabriqué, non, celui de David, dont j’avais oublié l’existence et qui lui ne se serait pas dégonflé.



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