Les sondeurs vivent en vain by Smith Cordwainer

Les sondeurs vivent en vain by Smith Cordwainer

Auteur:Smith, Cordwainer [Cordwainer, Smith,]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-01-22T15:27:52+00:00


2

LE TIRAGE AU SORT

Papa Moontree et la petite fille nommée West entrèrent dans la pièce. C’étaient les deux autres bouteurs de lumière. L’équipe humaine de la Salle de Combat se trouvait désormais au complet.

Papa Moontree était un homme de quarante-cinq ans, au visage rougeaud, qui avait connu la vie paisible d’un fermier jusqu’à sa quarantième année. C’est seulement à cet âge tardif que les autorités s’étaient aperçues qu’il était télépathe et l’avaient admis dans la carrière de bouteur de lumière. Il s’en tirait bien, mais restait d’un âge canonique pour ce genre de travail.

Papa Moontree regarda le sombre Woodley et Underhill, qui était songeur. « Comment vont les jeunots, aujourd’hui ? Prêts pour un combat ?

— Papa veut toujours se battre », gloussa la petite fille nommée West. C’était une si petite fille, au rire si haut perché, si enfantin, qu’elle paraissait la dernière personne au monde que l’on aurait crue mêlée à cette lutte âpre et difficile.

Underhill avait ri le jour où l’un des Partenaires les plus impassibles était revenu joyeux de son contact avec l’esprit de West. D’habitude, les Partenaires se souciaient peu des gens avec lesquels on les appariait pour le voyage. Ils semblaient d’avis que l’esprit humain est trop complexe et trouble et, de toute manière, incompréhensible. Jamais un Partenaire ne discutait la supériorité de l’esprit humain, quoique peu d’entre eux se laissent impressionner par cette supériorité.

Les Partenaires aimaient les humains. Ils acceptaient de combattre à leurs côtés. Ils acceptaient même de mourir pour eux. Mais lorsqu’un Partenaire aimait de façon particulière, par exemple comme le Capitaine Wow ou Dame May aimaient Underhill, cette affection n’avait rien à voir avec l’intellect. C’était une question de tempérament, de sensation.

Underhill savait bien que le capitaine Wow trouvait ses idées stupides, qu’il appréciait en fait la structure émotionnelle amicale d’Underhill, la chaleur et l’éclat sardonique qui transparaissaient dans ses pensées inconscientes, la gaieté avec laquelle il affrontait le danger. Les mots, les livres d’histoire, les idées, la science – Underhill sentait tout cela en lui comme autant de concepts inutiles reflétés par l’esprit du Capitaine Wow.

West le regarda. « Je parie que vous avez mis de la colle sur les jetons.

— Non ! »

Il se sentit rougir jusqu’aux oreilles. Durant son noviciat, il avait essayé de tricher au cours du tirage au sort, parce qu’il appréciait tout particulièrement une Partenaire, une jeune mère adorable nommée Murr. Il était si facile de travailler avec Murr et elle était si affectueuse avec lui qu’il en oubliait que le boute-lumière était un dur labeur et qu’on ne lui avait pas demandé de prendre du bon temps avec sa Partenaire. Tous deux étaient faits pour mener ensemble de mortels combats.

Une seule tricherie avait suffi. Les autres s’en étaient aperçus et en avaient ri durant des années.

Papa Moontree s’empara de la coupe en faux cuir et brassa les jetons de pierre qui désignaient les Partenaires. Par droit d’ancienneté, il tira le premier.

Il fit une grimace. Il avait tiré un vieux rapace, un mâle endurci à l’esprit rempli d’images de nourriture, véritables océans de poisson à demi pourri.



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