Les porteurs d'eau by Atiq Rahimi

Auteur:Atiq Rahimi
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: P.O.L
Publié: 2019-01-01T23:00:00+00:00

Dans la ruelle qui menait à la maison des parents de Shirine, il s’arrêta, jeta un regard derrière lui, mais Shirine n’était plus là. Il retourna à la rue d’où il venait. À l’autre bout, il vit sa belle-sœur assise dans un coin, contre un mur. Il s’approcha. Elle pleurait. Elle dit qu’elle avait reçu des coups de câble par un Taliban. « Pourquoi ? » lui demanda Yûsef, cherchant du regard un Taliban dans la rue. Aucune ombre d’un homme armé d’un câble. « Mais que s’est-il passé ?

– Rien.

– Il t’a frappée ?

– Oui.

– Mais pourquoi ?

– Je ne pouvais plus marcher avec le baluchon à la main, c’était un peu lourd, alors je l’ai mis sur ma tête. Ça m’a obligée à écarter le pan de mon tchadari. » Ce qui avait révélé son bras, la forme saillie de ses seins – qu’elle ne décrit pas, laissant Yûsef l’imaginer. Elle reprend : « Il m’a frappée avec son câble, il me demandait pourquoi j’étais sortie seule.

– Mais pourquoi tu ne m’as pas appelé ?

– Tu étais loin. » Elle ne dit plus rien. Parce que Yûsef savait que pour les Talibans entendre une femme crier dans la rue était encore pire. Et pour elle, et pour Yûsef, fautif de laisser son nâmous exposer son corps aux inconnus. Lui aussi aurait pris des coups de fouet. Il n’avait pas droit de laisser son nâmous traîner comme ça, les seins à l’air…

Après ce long silence, elle dit : « Si je ne t’ai pas appelé », elle cherchait ses mots ; elle les trouva : « C’était pour te protéger, je ne voulais pas qu’ils te frappent ! »

Le protéger, lui ?

Tout s’écroula autour de Yûsef, sa forteresse de solitude, construite dans l’étendue déserte d’abandon, ses abris d’insouciance, ses montagnes inaccessibles… Tous les mots de Lâla Bahâri lui revenaient à l’esprit. Il les sentait, les comprenait. Il se comprenait. C’était la première fois qu’il entendait quelqu’un dire qu’il le protégeait, qu’il prenait soin de lui. Il s’assit à côté d’elle, à l’ombre, le dos contre le mur, sortit une cigarette. Il resta ainsi longtemps, silencieux, fumant une Salem. Le dilemme le déchirait. Il ne savait plus quoi faire avec Shirine. La ramener à la maison, la garder près de lui ? Mais en tant que quoi ? En tant que qui ? Sa domestique ou sa femme ?

Et si jamais son frère revenait ? Ce serait une guerre fratricide.

Il se leva, jeta la cigarette par terre, et lui fit signe de le suivre.

Lorsqu’ils arrivèrent chez les beaux-parents de Soleyman, Raouf, le frère de Shirine, leur ouvrit la porte, pas très accueillant. Il ne dit même pas « salam » à sa sœur. Rien. Un sang chaud, insolent, qui depuis la présence des Talibans était devenu un musulman bien intègre. Lorsque Yûsef dit à la famille qu’il ne pouvait plus garder leur fille chez lui, c’est Raouf qui décida, et personne d’autre. Ni le père ni la mère. Il enjoignit

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