Les Nuits de l'aviateur by Philippe Curval

Les Nuits de l'aviateur by Philippe Curval

Auteur:Philippe Curval [Curval, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Editions La Volte
Publié: 2016-10-11T16:00:00+00:00


En montant dans le Train bleu…

En montant dans le Train bleu, l’idée du voyage enchantait Vincent, heureux de larguer d’un coup tout son passé, de se délivrer des influences, des tutelles qui l’avaient encombré. Promis à un avenir fortuné sur la Riviera, le destin lui souriait enfin.

Assis en troisième classe dans un compartiment bondé, entre une jeune fille grasse, acnéique, et un vieillard rubicond dont il entendait le transit intestinal, il déchanta. Une nuit de sommeil peuplée de cauchemars ignobles, entrecoupée de sursauts nauséeux, acheva de gommer son allégresse. Il se réveilla avec une serpillière dans la bouche, convaincu de sa culpabilité dans l’accident vasculaire de Blériot, follement anxieux à propos de ses capacités de démarchage sans le soutien de Bassigny. En soulevant le rideau qui voilait la fenêtre du compartiment, un ciel laiteux et suant le sel, éblouissant, lui révéla son visage tel un flash dans le miroir qui lui faisait face. Les traits tirés, il détaillait sans pitié tous les défauts de son apparence, en particulier cette légère voussure du dos et de la nuque qui l’entraînerait peu à peu à se tenir courbé, jusqu’à l’affaissement probable de son menton, de son ventre. De fœtus sanglant et chiffonné, il se transformerait en sac bedonnant, parcheminé avec de maigres cuisses qui lui donneraient le profil d’un échassier sans ailes. À tel point qu’au moment où, souhaitant couper derrière lui tous les ponts, ivre de révolte envers lui-même, Vincent envisagea de renoncer. De reprendre le train pour Paris. Le désespoir qui accompagna son arrivée à Marseille marqua sa mémoire d’une manière inaltérable. Une insidieuse lucidité l’amenait à redouter le pire. Sa solitude lui apparut avec une telle violence qu’il douta d’appartenir encore à l’univers qui l’entourait !

Par chance, il aperçut soudain la Méditerranée depuis l’esplanade de la gare Saint-Charles. Son premier regard sur cette superbe étendue, d’un bleu cobalt si intense, effaça ses hantises. Il vacilla, ému aux larmes par tant de couleur, de beauté crue, pris de vertige devant l’immensité insoupçonnée du grand large. Certes, Vincent avait déjà vu l’océan, à Paramé, grelottant dans son maillot de laine après le bain sur la plage où le vent lui jetait des pelletées de sable à la face. Trop petit pour comprendre l’espace, trop peureux pour admettre le bien-fondé des vagues, trop sourd pour entendre le murmure géant des eaux, il en avait conservé un mauvais souvenir. Par sa brillance infinie, sa surface striée de crêtes argentées, cette énorme lentille liquide qui définissait l’horizon lui apparut comme la respiration de la planète.

Pour apaiser la tension accumulée par le voyage, le choc de cette découverte, il s’assit à la terrasse d’un café, face au spectacle de la Méditerranée. Observant la percée du soleil à travers la brume de chaleur qui se dissipait, le départ des bateaux dans le port, les marchandes de poisson sur le quai, les rails de l’ancien tramway sur la Canebière. Ses yeux revenaient toujours à la surface de la mer, fascinés par les dessins mouvants que suscitaient le vent ou son absence, friselis, bonaces qui réveillaient en lui des symboles primaires.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.