Les monstres en dessous by Simon Boulerice

Les monstres en dessous by Simon Boulerice

Auteur:Simon Boulerice [Boulerice, Simon]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764422465
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2016-04-10T04:00:00+00:00


Chapitre 7

— Tes vêtements sont tout propres.

Je sors le nez du goulot de la bouteille de parfum pouche-pouche de Monsieur IGA. Je referme le flacon et le dépose sur l’étagère à trésors. Je me retourne et vois ma mère dans l’embrasure de la porte.

— Merci.

Elle réajuste sa robe vert pomme qui a retroussé. Mais c’est naturel, chez elle, les vêtements qui retroussent. Tout retrousse sur elle, et c’est très bien ainsi. C’est peut-être une mère toute croche, mais c’est ainsi que je l’aime.

Ma mère toute croche tient dans ses bras la corbeille à linge propre. Les vêtements sont bien pliés, comme dans les magasins. Elle les dépose en quatre piles sur ma commode. Une pile de t-shirts, une de pantalons, une de bas et une de caleçons. Elle a fait sa partie, et la mienne n’est pas compliquée : il ne me reste qu’à tout ranger dans les tiroirs, selon l’ordre que j’ai personnellement décidé. Chaque fois que ma mère arrive avec les vêtements fraîchement lavés, je ne peux m’empêcher d’y plonger le nez. Je plonge donc le nez dans la pile de t-shirts. Ça sent l’assouplissant. Ça sent la sécheuse. Mais ça sent surtout le bon savon à lessive. Pas du savon à vaisselle. Non. Du vrai vrai vrai savon à lessive. Pendant que je range le tout dans mes tiroirs, ma mère flâne dans ma chambre.

— Je peux te parler un peu ?

— Hum-hum.

Je n’aime pas quand maman fait la « cérémonieuse ». C’est comme ça que mon père la qualifiait, parfois, et je comprends de mieux en mieux ce qu’il voulait dire par là. Ma mère met toujours beaucoup de temps avant de dire les choses qu’elle veut dire. Elle enfile de longs gants blancs mais invisibles, le genre de gants des choristes des « années tranquilles » qui remontaient jusqu’en haut du coude (j’ai aussi vu ça à la télé ; je sais, je regarde beaucoup la télé !). Quand elle met trop de temps à dire quelque chose, je me mets toujours à angoisser. J’attends le pire. C’est sans doute depuis que ma mère m’a annoncé que mon père avait disparu en mer, il y a trois ans de ça. Ma mère avait alors pris dix minutes par mot. Ça lui avait pris près d’une heure à prononcer la pire phrase (composée de six mots, justement) que j’ai entendue dans ma vie : « Ton père est disparu en mer. » Six mots bien enfoncés à jamais dans ma vie.

Elle se décide à s’asseoir sur le bout du lit. Ce n’est pas bon, tout ça.

— Il a l’air gentil, hein ?

— Monsieur IGA ? Oui. Il est gentil. Il sent comme papa.

— Tu trouves ? Il sent plus le homard et les crustacés, non ? Papa, lui, sentait la morue. J’ai peur de la mer, mais on peut dire que je l’aime par procuration.

— Ça veut dire quoi, « procuration » ?

— Ça veut dire que la mer me procure beaucoup de plaisir. Ça veut dire que j’aime les gens qui flottent sur l’eau.



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