Les Messieurs by Claire Castillon

Auteur:Claire Castillon [Castillon, Claire]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature française
ISBN: 9782823604917
Google: VSz4CwAAQBAJ
Éditeur: L'Olivier
Publié: 2016-05-04T22:00:00+00:00

Pendant qu’Ulrich déguisé en Playmobil tond la pelouse, assis sur son tracteur, je regarde l’âtre, confortable et obéissante, afin de ne surtout pas regarder le doberman qui ressemble à son maître, je l’ai immédiatement constaté. Le désastre défile sous mes yeux. J’ai été séduite par l’accent d’Ulrich et rassurée par ses baisers, mais nous allons dormir ensemble, et j’ai peur. En plus, dans la station-service, je l’ai vu commettre l’irréparable.

Ulrich descend de son tracteur et m’invite à m’asseoir avec lui sur un banc du jardin. Puis il éteint le coucher de soleil dans son bavardage sans lui laisser le temps d’exister. Il me parle d’un film allemand et je lui raconte, minaudant, que je n’ai gardé de mes cours qu’un seul mot, Schwierigkeiten, qui signifie difficulté, au pluriel. N’importe quel octogénaire, même sourd, recevant ma petite fadaise, se mettrait à durcir. Ulrich répond juste :

– L’allemand n’est pas une langue si compliquée.

De toute façon, j’ai aussi peur qu’il bande que de caresser son grand chien qui me sourit en se grattant.

Dire que je pourrais être avec Marie, assise sur le balcon de son studio, à fumer des pétards puis à descendre un saladier de cacahuètes et quatorze tablettes de Galak pour fêter son nouveau CDI. Mais je suis là, avec Ulrich qui épluche des légumes pour le potage. Il vient de répéter le mot deux fois, et puis il a dit « moelleux ». Je vais tremper ma cuiller dans un potage moelleux, avec, en tête, le drame de la station-service. Il faut que je trouve un moyen d’éviter au moins le potage. Je sens monter des larmes de classe de neige, épaisses comme de l’huile et lourdes comme deux skis. J’écoute pépère rembobiner sa vie, et je veux du Galak. Je quitte le banc et je pars voir les framboisiers.

– Reviens ! Il n’y a pas de framboises en janvier ! me crie-t-il.

Son chien aboie.

Ulrich sort son sifflet à ultrasons puis court vers moi, son épluche-légumes à la main, afin d’arriver avant le chien. Je ressens un petit frétillement intérieur. Ses doigts salis par le travail des champs, son couteau, son accent allemand, le fond d’un jardin, j’envisage un instant la possibilité d’un regain amoureux. Mais Youyou me saute dessus.

– Bien, Youyou, lui dit Ulrich, alors que le chien mord mon avant-bras sans le serrer.

– Pourquoi il fait ça ?

– Je le dresse, me répond Ulrich. Quand il me sent en danger, il saute.

– C’est moi le danger ?

– Avec Youyou, nous avons un code. Je lui adresse un signe et il attaque direct. Il mord quand je le lui dis. Je t’apprendrai. Ainsi, tu pourras rester seule ici avec lui.

Le chien reçoit un coup de botte parce qu’il continue de gronder, et Ulrich lui crie « Schnell » parce qu’il ne me lâche pas assez vite. Ne pouvant me blottir ni contre les ronces ni contre le chien, je choisis de me blottir contre Ulrich. Il sent le vieux. Viens, me dit-il, m’attrapant par le cou. Nous rentrons

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