Les mers perdues by Abeille Jacques

Auteur:Abeille Jacques [Jacques, Abeille]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy
ISBN: 978-2-84679-060-4
Éditeur: Attila
Publié: 2011-01-01T05:00:00+00:00

Les difficultés ou, mieux encore, la répugnance éprouvée à l’égard de certaines situations provoquent parfois une meilleure perception des choses et des associations d’idées qui peuvent se révéler bénéfiques. Il était évident que le dessinateur n’avait pas l’intention de réaliser la moindre planche sur le site que nous parcourions depuis la veille et, au moment où chacun repliait son paquetage, je songeais vaguement à la laideur qui nous rebutait dans cet environnement. Pensant qu’il était presque toujours possible à un homme d’éprouver le sentiment du pittoresque et de le projeter sur un paysage ingrat, je remarquai enfin ce qui nous empêchait de juger grandiose, voire sublime, la fausse architecture qui nous cernait. La pureté et l’élan des volumes étaient offusqués par des passerelles métalliques de plus en plus nombreuses à mesure que nous nous déplacions dans le labyrinthe. Plus tard, je fis observer à mon compagnon que c’était l’unique fois dans tout notre voyage que la hideur des choses le rebutait au point qu’il n’avait pu en garder trace. Ma naïveté, qui ne désarmait pas, de nouveau le fit rire car nul objet n’est assez laid pour mettre en échec un dessinateur, ses aptitudes seraient-elles médiocres. Il avait ici rencontré les limites de son talent parce que l’effet de ressemblance était déjà inscrit dans les objets qui s’offraient à la vue et porté à un tel degré d’achèvement par leur caractère géométrique que l’exactitude de ses dessins – exécutés dans un trop bref délai puisque nous étions pressés par le temps – aurait, pour ainsi dire, effacé le caractère artificieux de leur modèle. Pour bien faire, il lui aurait fallu le loisir de découvrir dans les leurres qui nous entouraient quelque défaut qui en dénonçât la puissance mensongère sans pour autant apparaître comme une défaillance du dessin. En conséquence, il me laissait le soin de rendre compte de l’étrangeté de ce paysage urbain dans le journal que je rédigeais. À moi donc de trouver des mots qui fissent image sans céder aux pièges d’une confondante ressemblance. Je crains d’avoir cédé, hélas, à la fascination du labyrinthe.

***

Ces appareils de rails, de poutrelles et d’entretoises où j’avais cru ne voir qu’une laideur défiant tout talent étaient-ils destinés par les constructeurs à être démontés avec l’achèvement des travaux ou étaient-ils mis en place de manière définitive pour marquer l’agressive emprise de l’homme sur les éléments, je ne pouvais en décider. En tout cas, ils témoignaient d’une frénésie dans la violence dont l’insanité blessait notre sensibilité. Mais tel ne pouvait être le seul but de ces outrancières démonstrations de puissance ; il fallait encore qu’elles aient eu un usage technique. À les regarder attentivement on remarquait que des passerelles complétaient certaines larges ouvertures au flanc des édifices. J’en déduisis qu’elles devaient servir à l’évacuation des résidus de pierre produits par les excavations ou la taille des façades. L’hypothèse selon laquelle elles constituaient peut-être des voies d’accès au rivage me parut assez vraisemblable pour être proposée à mon compagnon.

***

C’est ainsi que nous avons renoncé à

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