Les inconnus dans la ville by Heath William L

Auteur:Heath,William L. [Heath,William L.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Carré Noir [501]
Éditeur: Gallimard
Publié: 2016-12-24T00:00:00+00:00

Deuxième partie

CHAPITRE VI

1

Si quelqu’un avait besoin d’une bonne rasade d’alcool, c’était bien Sugarfoot. L’aube commençait à poindre, il pleuvait et Sugar était étendu sur son lit, les yeux grands ouverts et les nerfs tendus comme des cordes de banjo, de l’extrémité des orteils à la racine des cheveux. Il avait aussi une sensation inquiétante de vide dans l’estomac.

« Ça me travaille drôlement c’matin, se dit-il. J’ai eu tort de pas me payer une autre bouteille hier soir, avant de monter me coucher. Pourtant, j’aurais dû savoir… Me voilà dans un bel état ! »

Il se leva, s’approcha de la fenêtre d’un pas incertain et contempla la rue luisante de pluie derrière l’hôtel. La chambre de Sugar se trouvait au rez-de-chaussée. C’était, en réalité, une ancienne réserve transformée, large de 2 m 15 au plus et éclairée par une seule petite fenêtre qui avait été percée dans le mur, lors de l’emménagement de Sugar, mais qui n’avait jamais été peinte. Le bois du châssis était nu comme douze ans plus tôt.

Sugar regarda au-dehors, cherchant à deviner l’heure. Environ cinq heures, se dit-il. Entre quatre heures et demie et cinq heures. Il savait qu’il n’y aurait encore personne à la cuisine. Aussi s’habilla-t-il en hâte, soufflant, soupirant et hochant la tête, puis il s’engagea dans le couloir du fond. Personne en vue. Avançant sur la pointe des pieds, les jambes légèrement tremblantes, il traversa la cuisine et se dirigea vers l’office qui avait été installé au fond d’une sorte d’alcôve, dans un dégagement, à droite de la salle à manger. La porte de l’office était fermée à clé, et cette clé était la seule que Sugar n’eût pas dans son trousseau. Mais il ne se laissa pas arrêter pour si peu. Ouvrant son couteau de poche, il introduisit la lame entre le bord de la porte et le montant. Quand il la sentit buter contre le pêne, il repoussa celui-ci et la porte s’ouvrit sans difficulté. L’essence de vanille était rangée sur le troisième rayon à droite, entre la noix de muscade, le laurier et le paprika. Il y avait là huit bouteilles, alignées sur deux rangées de quatre, et Sugar eut bien soin d’en prendre une de la seconde rangée de façon qu’on ne découvrît pas immédiatement le larcin. Peut-être pourrait-il même remplacer la bouteille avant qu’on en ait remarqué la disparition ? Sugar s’en voulait d’agir de la sorte, car, il le savait, même m’sieur Neff le désapprouverait. Mais, dans des circonstances critiques, on devait utiliser toutes les ressources dont on disposait.

Sugar enfouit la bouteille dans la poche de sa veste blanche et referma la porte, satisfait d’entendre le déclic de la serrure, réenclenchée. Il se sentait déjà mieux, avec la bouteille dans sa poche. C’était rassurant d’avoir de l’alcool à sa disposition. Ce qui éprouvait les nerfs, c’était la certitude de n’en trouver nulle part quelle que soit votre envie. Il ne perdit pas de temps : s’arrêtant devant le réfrigérateur, il s’assura qu’il n’y avait personne dans les parages et vida la petite bouteille en deux gorgées.

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