Les grandes personnes by Marie NDiaye

Les grandes personnes by Marie NDiaye

Auteur:Marie NDiaye [NDiaye, Marie]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072424571-39008
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2011-06-03T22:00:00+00:00


VIII

LE FILS : J’ai retrouvé nos parents et leur joie est telle qu’ils se refusent à entendre ce qui les menace, de même qu’ils ferment leurs oreilles et leur compréhension à tout ce dont ils ne peuvent se justifier.

Seul compte à leurs yeux de savoir s’ils sont coupables ou non.

Et s’ils ont décidé qu’ils ne l’étaient pas, peu leur importe le danger, oh ils ne croient à nul danger possible car ils n’auront jamais, pensent-ils, que ce qui leur est dû, en proportions équitables et parfaites.

Mais c’est faux ! Je suis capable, bien involontairement, de leur faire du mal très au-delà de ce qu’ils méritent.

CEUX QUI LOGENT DANS LA POITRINE DU FILS : À quand notre tour d’être satisfaits ?

On est dégoûtés d’être là depuis si longtemps sans que jamais encore n’ait été accompli ce qui doit l’être.

On se ronge, on divague et on se tourmente alors qu’on voudrait le repos et, enfin, l’éternité.

LA FILLE : Vous ne l’aurez pas.

Je connais mon frère, il est tendre et pacifique.

Il ne fera jamais couler le sang et surtout pas celui de nos chers parents.

LE FILS : Tu les entends ?

Comment est-ce possible ?

LA FILLE : C’est que nous nous trouvons certainement, eux et moi, à la même étape d’une progression semblable, nous sommes pareils, ces malheureux inconsolés et moi qui rôde et laisse filer des heures irremplaçables.

Je n’ai pas de poitrine où loger, cet escalier m’en tient lieu.

Je n’ai pas de fils, moi. Je n’ai donné le jour à personne, je n’ai recueilli aucun enfant.

Mais je suis froide, inapaisée et, comme eux, encore en chemin.

En ce moment même je les entends.

LE FILS : Non, là, ils se sont tus.

LA FILLE : Je peux les entendre et tu ne le peux pas.

Ils murmurent, ils s’agitent, ils grommellent.

Tu ne les entends que lorsqu’ils crient.

LE FILS : Qu’est-ce qu’ils disent ?

Et puis je ne veux pas le savoir, je ne veux rien savoir d’eux.

LA FILLE : Tu le sais déjà. Tu sais déjà tout.

N’est-ce pas toi qui les as invités à venir habiter ton étroite poitrine de jeune homme ?

N’est-ce pas toi qui les as formés, élevés puis entretenus dans la haine de nos parents ?

LE FILS : Non, pas du tout !

Ils se sont introduits en moi dans mon sommeil probablement car, un matin, je me suis réveillé avec une sensation d’étouffement et j’ai su alors qu’ils étaient là.

CEUX QUI LOGENT DANS LA POITRINE DU FILS : Il dit vrai.

Il ne nous a pas appelés, il ne voulait pas de nous, ce mauvais fils.

Ceux dont nous réclamons la mort, ils ont arraché notre enfant à son pays puis ils l’ont convaincu qu’il n’avait plus rien à faire avec nous, qu’il ne devait connaître ni notre nom, ni notre histoire, ni notre fin.

LA FILLE : Un jour nos parents ont acheté un camping-car et tous les étés nous avons sillonné la France. Nous nous arrêtions au bord des ruisseaux. Nous faisions griller des saucisses. Tu t’en souviens ?

Parfois, dans la montagne, on pouvait boire à la source et l’eau était glacée.



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