Les flibustiers de la mer chimique by Marguerite Imbert

Les flibustiers de la mer chimique by Marguerite Imbert

Auteur:Marguerite Imbert [Marguerite Imbert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy, Littérature Française
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2022-09-27T22:00:00+00:00


Je trouvai la Métareine sous la pergola, au milieu des orchidées tigrées. Je crois qu’elle méditait, en tout cas elle était immobile. Des spirales d’encens brûlaient dans leurs coupelles, sans doute pour éloigner les moustiques. Je ne savais pas encore ce que j’allais dire. Je ne voyais que son dos, sa traîne et ses chevilles blanches. Sa présence robotique semblait concentrer les vibrations de l’air. Il émanait de ses épaules une onde sonore presque imperceptible, une force mélodieuse qui venait appuyer à l’arrière de mon crâne comme un interrupteur qui désarmait toute méfiance. J’étais si désolée de n’être que moi, le cadeau raté de mon clan à la Métareine. Père, tes leçons ne m’ont pas préparée à cette rencontre. Mais quand Elle se retourna, j’eus l’impression d’être attirée dans son halo.

Elle avait l’air contente de me voir, comme si j’étais exactement ce qu’elle souhaitait voir arriver à cette seconde précise. Et moi, je me sentais comblée d’être celle qu’elle attendait.

– Tu as maigri, dit-elle. Il n’est pas bon d’être aussi léger.

J’eus envie de m’excuser et de dérober mon corps à ses regards.

– Les choses de l’air sont très belles. Mais nous autres avons besoin de nourriture terrestre. Même toi, Alba.

– Je suis désolée. Pour l’autre soir. Je… je ne voulais pas vraiment vous tuer.

– Bien sûr que non. Personne ne voudrait une chose pareille.

Ces paroles auraient pu sonner comme de la prétention candide. Mais elles avaient les accents profonds d’une vérité générale. Elles s’engouffrèrent dans mon cœur comme une meute de papillons.

– Pourquoi Ariel est-il venu me chercher dans ma grotte ? Il m’a laissée prendre Robin, il m’a protégée contre les chiens, il m’a ramenée ici. Est-ce que c’est parce que je suis unique ? Est-ce que vous allez m’empailler et disséquer mon cerveau ? Qu’attendez-vous de moi ?

– J’aimerais que tu peignes.

Elle ramassa quelque chose sur un banc et me le tendit : un étui cousu et fermé par une ficelle. Au son qu’il fit entre mes mains, je sus ce qu’il contenait. Elle me remit également des rouleaux de papier au contact de soie. J’étais émue au-delà des mots. Le contact du papier me fit tressaillir et je levai les yeux vers la femme rousse. Elle me parut si belle et clairvoyante que j’eus envie de la toucher, de déposer ma joue sur ses genoux. Je ne pouvais ressentir aucune jalousie, car nous n’appartenions pas au même taxon. Je faisais partie du règne arachnéen, peut-être humain dans mes meilleurs jours. Elle était un chèvrefeuille fait femme. Une plante grimpante et descendante. Son corps avait la plénitude des plus beaux arbres fruitiers, elle avait la main douce et la bouche foncée.

– Ma dame, murmurai-je sans ironie, que voulez-vous que je peigne ?

– J’ai besoin d’une histoire, Graffeuse. Mon peuple vient de toute l’Europe. Mohamed disait que les eaux n’arrêteraient pas de monter avant une génération. C’est l’exode qui nous attend, et nous sommes si peu, si fragiles. Parfois, pour empêcher les gens de s’entre-tuer, il suffit d’une bonne histoire.



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