En canot sur les chemins d'eau du roi by Jean Raspail

Auteur:Jean Raspail [Raspail, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782226235848
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2005-01-21T11:06:02+00:00

Comme un train qui accélère, le courant a pris son élan, nous emportant à vive allure, tandis que les deux rives se rapprochaient, vers une faille dans le rocher s’ouvrant à la façon d’une poterne sur la chute de la Chaudière, une cascade peu élevée mais à haut débit par laquelle la rivière amorçait sa descente mouvementée en direction du lac Huron. Il n’était pas question de la sauter. Aucune brigade ne l’avait jamais tenté. Un chemin de portage la doublait en surplomb, trois ou quatre arpents1 de long sur un roc vif, annonçait ma « bible ». Il était assez bien aménagé par le club de pêche de M. Nutting dont une pancarte précisait cependant que quiconque s’y engageait le faisait à ses risques et périls et ne saurait, en cas d’accident, se retourner contre l’association.

– Parfait, a dit Philippe. Après, on sera chez nous.

Nous avons remis nos canots à l’eau de l’autre côté, prenant de court trois pêcheurs de saumon en cuissardes qui n’eurent que le temps de mouliner furieusement pour récupérer leur fil en proférant ce qui nous a semblé des noms d’oiseau en anglais. L’un d’eux a crié :

– Eh ! You ! Are you mad ? It’s not the right way !

Ensuite nous n’avons plus rencontré personne. C’est vrai que nous étions chez nous, en la seule compagnie de nos semblables, ce qui, depuis Samuel de Champlain, faisait tout de même pas mal de monde. Le gentil rapide des Pins, premier du nom, nous a déposés prestement un mile plus loin, d’un trot enlevé mais un peu heurté, au sein d’un bassin calme et clair où la rivière marquait la pause avant les quatre rapides suivants de la série. Grâce à leur tonture Moïse Cadorette, les canots n’avaient pas embarqué une goutte d’eau. Nous avons amarré à un tronc d’arbre et j’ai déployé la carte, don de la Royal Mounted Police de North Bay, à peu près dans la même disposition d’esprit qu’un convive qui consulte le menu avant de commander et de se mettre à table.

La carte datait de 1906, révisée en 1926 et 1938, avec hachures, courbes de niveau et toutes sortes de signes pictographiques, imprimée en noir de Chine sur un épais papier parcheminé. Elle ne se pliait pas, elle se roulait. Graphiquement, elle était superbe, typographiquement, poétique, avec un air de petite dernière dans la famille des cartes anciennes dont s’était servi Bougainville, par exemple, officier du roi en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans et familier de ces régions. Tous les rapides de la French River y figuraient, parfois en anglais, surtout en français. Au service géographique de l’armée canadienne, les chemins d’eau du Roi de France n’avaient pas démérité. Le Petit et le Grand Récollet, deux rapides annoncés comme « très dangereux » selon la signalisation indiquée en légende, à savoir trois traits transversaux barrant le cours de la rivière : vingt morts d’un coup en 1690, des franciscains gris, dits Robes grises, autrement appelés Récollets. Le rapide

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