Les Eygletière 02 La faim des lionceaux by Troyat Henri

Les Eygletière 02 La faim des lionceaux by Troyat Henri

Auteur:Troyat,Henri [Troyat,Henri]
La langue: eng
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: J'ai Lu
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


★

La porte refermée, Françoise resta un instant songeuse. Alexandre s’était laissé tomber dans le fauteuil et avait déboutonné son col.

— Je l’ai trouvée bizarre, tante Madou, dit-elle. Moins gaie que d’habitude…

— Pourquoi veux-tu qu’elle soit gaie ?

— Je ne sais pas… Rien que de me savoir heureuse, elle devrait…

— Ta tante Madou est une charmante provinciale maniaque. Sortie de son intérieur, de ses bibelots, de ses habitudes, elle ne sait plus comment vivre. Telle que tu Tas vue, elle n’avait qu’une envie : retourner à Touques !

— Si tu l’avais connue avant…

— Avant quoi ?

— Je ne sais pas… Avant… Il y a deux ans, même pas !… Nous avons eu de ces séances de fou rire avec elle !…

Elle s’assit sur l’accoudoir du fauteuil.

— Tu vois bien qu’il faut saisir au vol toutes les occasions de joie qui se présentent ! murmura Alexandre. Ce que tu laisses échapper, tu ne le retrouveras jamais plus !

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Pour notre avenir.

— Il t’inquiète ?

— Pas le moins du monde ! Sais-tu qui j’ai rencontré en sortant du cours ? Crespin, ce type avec qui j’avais voulu fonder une revue. Nous sommes allés prendre un pot.

— Et c’est pour ça que tu es arrivé à neuf heures ?

— Oui.

— Tu aurais pu le dire, t’excuser… Nous t’avons attendu, Madeleine et moi…

Il leva les sourcils. Son front se rida. Elle aimait bien les expressions qui le vieillissaient.

— C’est vrai ! marmonna-t-il. Je n’y ai même pas pensé. Bon, tu ne vas pas en faire un drame ! Tu étais là avec ta tante. Vous aviez des tas de choses à vous dire. Qu’on dîne à huit heures ou à neuf heures, qu’est-ce que ça change ?

Françoise voulut répondre, mais ne trouva pas d’argument. Il avait raison ; il aurait toujours raison avec elle.

— Crespin m’a reparlé de son idée de fonder une revue, reprit Alexandre. Il a des commanditaires prêts à perdre beaucoup d’argent au début. Je lui ai déconseillé, une fois de plus, de se lancer dans cette aventure.

— Pourquoi ?

— À notre époque, les revues, c’est périmé !

— Et s’il la fait tout de même, sa revue, il te prendra comme collaborateur ?

— Il voudrait bien ; c’est moi qui ne marche pas. Je n’ai pas du tout envie de me charger d’un nouveau travail ! Je veux garder le temps de vivre !…

Il dressa la tête vers elle. Assise sur le bras du fauteuil, elle le dominait. C’était une situation insolite, amusante ; les rôles renversés. Elle lut dans ses yeux le goût de l’oisiveté poussé à l’extrême. Il l’inquiétait un peu par son insouciance. Et pour tant, là aussi, il avait raison. Depuis trois jours qu’elle était sa femme, elle ne se reconnaissait plus. L’abbé Richaud, lorsqu’il l’avait confessée (avait-elle assez redouté cette épreuve !), lui avait rappelé qu’il n’existait pas de plus grand péché au monde que le péché contre l’espérance. Après l’absolution, elle s’était retrouvée toute neuve, pleine de force, en accord avec le monde et avec Dieu.



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