Les Diaboliques by Jules Amédée Barbey d'Aurevilly

Les Diaboliques by Jules Amédée Barbey d'Aurevilly

Auteur:Jules Amédée Barbey d'Aurevilly
La langue: fr
Format: mobi, epub
Tags: Literary, Classics, Collections, Short Fiction, Fiction
ISBN: 9782070302758
Éditeur: Dedalus
Publié: 1973-01-01T23:00:00+00:00


Chapitre 2

« La seule chose, – continua le conteur de cette histoire où tout est vrai et réel comme la petite ville où elle s’est passée, et qu’il avait peinte si ressemblante que quelqu’un, moins discret que lui, venait d’en prononcer le nom – la seule chose qui eût, je ne dirai pas la physionomie d’une passion, mais enfin qui ressemblât à du mouvement, à du désir, à de l’intensité de sensation, dans cette société singulière où les jeunes filles avaient quatre-vingts ans d’ennui dans leurs âmes limpides et introublées, c’était le jeu, la dernière passion des âmes usées.

Le jeu, c’était la grande affaire de ces anciens nobles, taillés dans le patron des grands seigneurs, et désœuvrés comme de vieilles femmes aveugles. Ils jouaient comme des Normands, des aïeux d’Anglais, la nation la plus joueuse du monde. Leur parenté de race avec les Anglais, l’émigration en Angleterre, la dignité de ce jeu, silencieux et contenu comme la grande diplomatie, leur avaient fait adopter le whist. C’était le whist qu’ils avaient jeté, pour le combler, dans l’abîme sans fond de leurs jours vides. Ils le jouaient après leur dîner, tous les soirs, jusqu’à minuit ou une heure du matin, ce qui est une vraie saturnale pour la province. Il y avait la partie du marquis de Saint-Albans, qui était l’événement de chaque journée. Le marquis semblait être le seigneur féodal de tous ces nobles, et ils l’entouraient de cette considération respectueuse qui vaut une auréole, quand ceux qui la témoignent la méritent.

Le marquis était très fort au whist. Il avait soixante-dix-neuf ans. Avec qui n’avait-il pas joué ?... Il avait joué avec Maurepas, avec le comte d’Artois lui-même, habile au whist comme à la paume, avec le prince de Polignac, avec l’évêque Louis de Rohan, avec Cagliostro, avec le prince de la Lippe, avec Fox, avec Dundas, avec Sheridan, avec le prince de Galles, avec Talleyrand, avec le Diable, quand il se donnait à tous les diables, aux plus mauvais jours de l’émigration : Il lui fallait donc des adversaires dignes de lui. D’ordinaire, les Anglais reçus par la noblesse fournissaient leur contingent de forces à cette partie, dont on parlait comme d’une institution et qu’on appelait le whist de M. de Saint-Albans, comme on aurait dit, à la cour, le whist du Roi.

Un soir, chez Mme de Beaumont, les tables vertes étaient dressées on attendait un Anglais, un M. Hartford, pour la partie du grand marquis. Cet Anglais était une espèce d’industriel qui faisait aller une manufacture de coton au Pont-aux-Arches, – par parenthèse, une des premières manufactures qu’on eût vues dans ce pays dur à l’innovation, non par ignorance ou par difficulté de comprendre, mais par cette prudence qui est le caractère distinctif de la race normande. – Permettez-moi encore une parenthèse : Les Normands me font toujours l’effet de ce renard si fort en sorite dans Montaigne. Où ils mettent la patte, on est sûr que la rivière est bien prise, et qu’ils peuvent, de cette puissante patte, appuyer.



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