Les choses importantes by Claire Delepau Michelet

Auteur:Claire Delepau Michelet [michelet, Claire Delepau]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
ISBN: 9782228925938
Éditeur: Éditions Payot
Publié: 2020-03-16T13:32:03+00:00

Je suis toujours très admirative, à chacun de mes passages dans ce village, de la solidarité entre quelques acteurs locaux, de l’entraide des agriculteurs, des portes ouvertes qui facilitent les échanges, par opposition aux portes fermées des vies urbaines. Malgré les difficultés et sa faible maîtrise de la valorisation économique de son travail de qualité, Laurent persiste. Ses limousines profitent d’une déambulation sur des hectares vallonnés, au paysage superbe. Perçoivent-elles comme moi cette vue magnifique ?

Je repars de Creuse gagnée par l’« à quoi bon ? ». À quoi bon ce livre qui ne changera pas le sort de ces habitants et ne viendra pas compenser l’injustice qui fait que certains décident pour ceux qui subissent. À quoi bon une goutte d’eau dans un océan ! C’est le découragement du colibri… J’arrive en Charente-Maritime, ma terre natale, et je ne crois plus en rien (enfin à part le sable, la plage et les huîtres). Je trouve mon engagement dérisoire à côté de celui de Laurent, de Philippe et Angélique qui tiennent l’auberge au centre du village et sont ouverts tous les jours, des épiciers qui permettent aux habitants toute l’année de ne pas avoir à faire des kilomètres pour s’approvisionner et font le tour des villages alentour avec leur fourgonnette.

Je suis en difficulté. L’inspiration ne vient pas. M’atteler à la tâche n’y fait rien. Comme si cela ne suffisait pas, cela tourne en boucle dans ma tête. « De toute façon, qu’est-ce que tu crois ? Que ton livre va changer quelque chose aux problèmes du monde ? » Pendant que les mille raisons de ne rien faire se bousculent, que tout et son contraire s’entrechoquent dans un même espace-temps, mon angoisse décuple. Mon système d’alarme s’affole, m’indiquant l’urgence d’écrire. « Oui, mais » dans quelle direction ?

Méfions-nous du « oui, mais ! », l’une des formules magiques de notre défenseur intérieur des droits de l’inertie.

« Oui, mais », « à bien y réfléchir », « est-ce vraiment une bonne idée ? »… les mots que j’aime tant m’embobinent, me clouent sur place. Aux mots intérieurs viennent se greffer ceux de l’actualité, qui me font chaque jour douter des raisons de croire en l’humanité. En quelques heures le tour est joué. Les mots et les maux gagnent la partie en faveur de la fatalité et du désespoir ! Je suis totalement abattue, déprimée. Je vous raconte dans la troisième partie comment je m’en suis sortie.

Nous sommes des conteurs d’histoires. Des histoires qui nous donnent l’envie d’agir et de résister autant que celle de nous soumettre passivement. Notre récit intérieur est capable d’ouvrir ou de fermer les possibles, de nous bercer d’illusions ou de rêves éthiques. Pour protéger notre ego de l’échec et d’une prise de risque en matière d’image, nous problématisons parfois à outrance, posons des équations sans solution de manière, in fine, à ne rien changer. Trop compliqué. Trop risqué. Trop fatigant rien que d’y penser !

De même en est-il pour les récits collectifs. Nos sociétés reposent sur des mythes.

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