La Fabrique du neuf (French Edition) by Erik ORSENNA & Stéphane QUERE

Auteur:Erik ORSENNA & Stéphane QUERE [ORSENNA, Erik & QUERE, Stéphane]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Cherche Midi
Publié: 2018-10-03T22:00:00+00:00

III

COMMENT CHANGER ?

Pourquoi changer ? Comment changer ? Aux deux questions, la première réponse est la même.

Imiter la vie

Stephen Jay Gould – paléontologue si populaire aux États-Unis qu’il a son personnage dans Les Simpson (combien de scientifiques invités par la culture « pop » française ?) – a mis en lumière la concurrence entre diverses espèces de poissons dans la lutte pour la survie. Certains poissons, très « performants », nagent plus vite. Prompts à attraper leurs proies, ils se nourrissent plus facilement que les autres espèces et se reproduisent en bien plus grand nombre. À leur côté, une autre espèce tente de trouver sa place, celle des dipneustes qui, souffrant d’une nageoire un peu calcifiée, se déplacent plus lentement. Les deux espèces cohabitent, la première l’emportant largement en puissance et en nombre. Mais voilà que le climat change, l’air se fait moins humide, le ruisseau s’assèche et devient marécage… Il est désormais extrêmement difficile pour les super-poissons de se déplacer, ils attrapent de moins en moins de proies… En revanche, les dipneustes, eux, peuvent utiliser leurs nageoires calcifiées… pour marcher dans le marécage ! Quelques mois plus tard, il ne reste plus aucun super-poisson, les dipneustes sont toujours aussi lents et cependant toujours là. Pourquoi les dipneustes ont-ils survécu ? Parce que leur désavantage, cette « anomalie » de la nageoire rigide, est devenu pouvoir ! Cette « super » capacité que désigne ici Gould, c’est l’adaptabilité qui suppose précisément la variabilité, variabilité des espèces (adaptation dans l’évolution : lutte pour la survie entre les espèces et entre les organismes), variabilité des cellules (adaptation dans le développement : faculté au cours du développement à s’adapter aux défis posés par le contexte particulier). On parle de « totipotence » : la propriété pour une cellule de se différencier en n’importe quelle cellule spécialisée, apte à remplir n’importe quelle fonction.

Toute entreprise, et plus encore les start-up que les grands groupes, doit s’adapter en permanence à la concurrence, aux variations du marché, aux demandes qui se transforment… Telle est par exemple l’histoire d’Airinov, incubée dans Paris&Co. Yann Bercq-Delost, responsable des programmes d’incubation « Ville durable », explique que cette start-up experte en agriculture de précision est arrivée dans l’incubateur comme spécialiste des drones, capteurs et algorithmes permettant de caractériser l’état d’avancement des plants dans les champs. Au cours de son développement, elle rencontre Parrot, dont la technologie et les moyens financiers sont largement supérieurs. Airinov arrête donc de développer des drones. Elle utilise désormais ceux de Parrot. En revanche, elle a poussé plus avant la recherche pour perfectionner sa technologie de cartographie des champs : elle a multiplié par dix son chiffre d’affaires en trois ans.

Ainsi, les innovations portées par les start-up doivent trouver une place dans l’écosystème en place. Elles doivent se spécialiser dans une certaine fonction immédiatement utile. L’« Internet des objets » fait également penser à ce pouvoir de totipotence… C’est le dialogue des objets entre eux, par exemple entre un capteur « intelligent » de température et une chaudière pour lui dicter sa conduite.

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