Les Calendes Grecques by Franck Dan

Auteur:Franck, Dan [Franck, Dan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782020381079
Éditeur: Calmann-Lévy
Publié: 2015-10-21T22:00:00+00:00

Le médecin s’appelle V. Scrabouif. Son nom est marqué sur sa blouse. Il est grand, brun et vigoureux. Ses manches sont retroussées sur des bras velus. Il me parle. Je ne l’écoute pas. Voilà une semaine que je sais être paralysé des jambes, et seul m’intéresse ce fauteuil gris, flambant neuf, qu’une infirmière a approché du lit. Il est très laid. (Les adverbes d’intensité que j’emploie depuis quelque temps marquent la distance que je mesure entre un monde habité par des « très » et une maladie qui m’enfonce dans un terreau de « rien ».) Autant j’ai accueilli avec sérénité la nouvelle de mon infirmité quand elle me fut annoncée par une aide-soignante, autant l’apparition de cet ustensile portatif sonne comme l’introduction d’une guillotine dans une cour de prison. Et Scrabouif lui-même, penché sur moi comme une grimace réconfortante, pourrait aussi bien me couper les cheveux et déchirer mon col de chemise. Longuement, avec une infinie sympathie, il décrit la maladie (« Votre chute a provoqué un déplacement de la vertèbre lésée il y a dix ans ; tandis qu’elle se tassait, les disques adjacents se sont pincés… ») et, pour la première fois, je me sens comme écrasé par une chape prédestinée. « On » m’a battu. Dans ce « on », flotte une délicieuse nuance infantile mais qui n’est pas, qui n’est plus gratuite, qui n’est pas, qui n’est plus infantile. À qui vais-je dire cela ? Et qui m’étreindra entre des bras réconfortants pour me sauver de ce « on » ?

« On » est la vie. La vie m’a battu. (« Sur les vertèbres avoisinant celle qui a été brisée, nous avons remarqué des lésions qui nous font craindre une maladie de Paget ».)

J’eus la tentation de me réfugier contre la poitrine très large de Scrabouif et de le prier de m’emmener chez lui ou dans un quelconque endroit hors du temps (« La maladie de Paget peut provoquer de multiples remaniements osseux ainsi qu’une paralysie croissante, mais très lente, évoluant sur de nombreuses années »). Soudain, combien j’aimais ma canne ! Mais ce fauteuil ! On eût dit qu’il me faisait des risettes pour mieux me séduire, avec, inscrite sur les tubulures, le plastique et le caoutchouc des pneus, cette formule trop menaçante pour être infantile : « Tu ne m’échapperas pas » (… « des destructions osseuses provoquant des lésions au bassin et au crâne, des maux de tête, des délires, des pertes du sens des réalités, un peu comme des mirages ».)

Mirages ! Ai-je rêvé quand les infirmiers m’ont habillé avant de me déposer sur cette machine confortable et extraordinairement maniable ? Ai-je rêvé quand on m’a fait faire trois petits tours – « pour tourner à droite, vous agissez sur la roue gauche » – avant de me déposer, en ambulance, chez moi ? Ai-je rêvé quand je me suis mis à haïr, haïr, haïr « on », et quand cette haine a tant pesé sur moi que je suis devenu

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