Les âmes sauvages (French Edition) by Nastassja MARTIN

Les âmes sauvages (French Edition) by Nastassja MARTIN

Auteur:Nastassja MARTIN
La langue: fra
Format: mobi
Éditeur: La Découverte
Publié: 2016-04-27T23:00:00+00:00


Se refuser

L’idée que tous les êtres ont l’âme en commun dans les forêts circumpolaires a acquis une place centrale dans la compréhension des cycles de chasse par les spécialistes occidentaux. L’un des lieux communs généralement associés à l’animisme du Grand Nord est de considérer – certes non sans fondement dans les dires des indigènes – que les animaux, ayant une pleine connaissance de l’action en train de se dérouler puisque pourvus d’une intériorité similaire à celle des hommes, choisissent volontairement de « se donner » à leurs chasseurs en leur offrant leur vie de leur plein gré45. L’idée générale est la suivante : si les chasseurs se conduisent de manière appropriée et font preuve de prévenance en mettant en œuvre tous les soins nécessaires en amont (préparation de la chasse, rencontres rêvées, animal poursuivi sans cesse gardé à l’esprit) et en aval (traitement des os et de la chair, paroles d’accompagnement pour faciliter le passage de l’âme de l’animal tué dans l’arrière-monde), l’animal se donnera de lui-même à l’homme. C’est en partant de ce postulat que la plupart des ethnologues ont expliqué la compréhension indigène de l’aspect éminemment « renouvelable46 » des animaux migrateurs de l’arc circumpolaire puisque, au sein de ce système, aucune pénurie de proies n’est possible : les animaux reviennent se présenter aux hommes de manière circulaire tant que les hommes les traitent correctement, et le nombre d’animaux disponibles est tout bonnement inépuisable. Seule la négligence des hommes quant à leurs devoirs envers les proies entraînerait de leur part un refus de confrontation interindividuelle, souvent doublé d’un refus généralisé de toute une classe d’existants (les caribous ou les élans pris au niveau plus général de l’espèce) de se présenter de nouveau aux hommes47. L’Alaska animiste pourrait dès lors être vue comme une gigantesque plaque tournante où rien ne disparaîtrait jamais, mais où les entités passeraient d’un registre du monde à l’autre, d’une sphère à l’autre, les corps morts alimentant le stock d’âmes et ces dernières réinvestissant le monde des vivants dès qu’elles le peuvent.

Cette manière d’expliquer les mondes animistes du Grand Nord est d’ailleurs soutenue par nombre d’histoires, auxquelles les Gwich’in accordent bien sûr du crédit puisqu’ils les racontent. Une histoire très populaire dans le monde gwich’in, de part et d’autre de la frontière, en atteste : « Le garçon dans la lune », Too oozhrii zhit tsyaa tsal dhidii dans sa version gwichyaa gwich’in. Elle m’a plusieurs fois été contée sur le terrain, et fait en outre partie d’un précieux recueil d’histoires gwich’in compilées par Sapir, dont le conteur est Zhoh Gwat’san (« Wolf Smeller ») ou John Fredson de son nom de baptême, un Neets’aii Gwich’in très connu à Fort Yukon dans la première moitié du XXe siècle48.

L’histoire raconte qu’il y a longtemps, des temps difficiles se présentèrent, et les hommes passèrent l’hiver entier sans réserves de viande (ils n’avaient pas tué d’animaux avant la neige) et se retrouvèrent complètement dépendants du petit magasin de Fort Yukon pour survivre. Les chamanes les plus compétents tentèrent de faire venir les caribous à eux, sans succès.



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