les allongés by Galzy Jeanne

les allongés by Galzy Jeanne

Auteur:Galzy, Jeanne [Galzy, Jeanne]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Alienor - TAZ
Publié: 1923-09-25T22:00:00+00:00


Presciences

Sur la plage, il y a une maison pauvre où l’on soigne de petits malades et, tout le jour, dans leurs gouttières, étendus côte à côte sur le sable, on les laisse seuls.

Les uns, maintenus par des courroies, restent immobiles ; d’autres, plâtrés jusqu’à mi-corps, peuvent en agitant leurs bras arriver à se retourner, et, dressés sur les coudes, regardent la mer et les passants. De plus pitoyables sont là, casqués de minerves : un petit garçon engoncé comme un scaphandrier ; une petite fille aux membres noués, prise dans un corset de plâtre qui étire et renverse en arrière son pauvre visage souffreteux.

Elle est couchée sous un grand miroir, que haussent des supports de fer et qui est mobile autour d’une tringle, et sans cesse, ses bras atrophiés aux jointures énormes s’élèvent et tirent une des ficelles qui font basculer avec un brusque éclat le lourd rectangle lumineux.

Je me suis approchée de leur groupe, parfois, cherchant à deviner comment ceux-là supportent leur misère et s’ils se rendent vaguement compte des injustices sans compensation qui pèsent sur eux.

Et j’ai seulement entendu les paroles habituelles qu’échangent entre eux les enfants qui jouent sans entrain ni fébrilité :

— Fais-moi passer ta poupée… Prête-moi ta pelle… Dis, Henri, finis donc de jeter du sable : j’en ai dans les yeux…

Tout cela calme, et comme prononcé par des adultes qui se seraient rapetissés et imiteraient les jeux de l’enfance. Et ils se vendent fictivement des pâtés de sable qui ne tiennent jamais, parce que près d’eux le sol est trop sec.

Toujours, quand ils se sentent observés, ils se taisent. Il y a alors dix ou douze regards levés vers vous, souvent indirectement à travers le miroir à main, et l’on aperçoit, inversés dans la glace suspendue au-dessus d’elle, les grands yeux bleus de la petite fille nouée, des yeux inquisiteurs et pourtant détachés, des yeux qui savent que les passants s’arrêtent, mais ne reviennent pas.

Ce soir, comme ils ne m’ont pas entendu m’avancer sur la plage presque déserte, j’ai surpris leurs paroles vraies.

Une petite fille aux cheveux raides disait, en tendant en l’air une jambe qui voulait courir et secouer l’obligation de l’immobilité où l’autre la condamnait :

— Moi, je suis malade, parce qu’on ne veut pas me laisser marcher. Il y a deux ans qu’on ne m’a pas laissé marcher.

Et elle semblait formuler plaintivement une accusation terrible contre le traitement monstrueux.

Et des voix étonnées, et qui n’avaient pas encore essayé de s’expliquer le mystère de leur infortune, dirent presque ensemble :

— Tu crois ?

Alors, la petite nouée, gainée de plâtre du bassin au crâne, la plus misérable sous son grand miroir, réfléchit un moment et déclara :

— Moi, il y a cinq ans que je n’ai pas marché.

Puis elle fit une nouvelle pause.

Elle cherchait, elle aussi, la cause de cette catastrophe qui leur ôtait leur enfance joyeuse, les clouait, là, sur un demi-cercueil. Obscurément, la notion de la maladie l’effleurait et la prescience des fatalités qui s’abattent même sur un si petit être,



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