L'enfant des tempêtes by Melanie Guyard

L'enfant des tempêtes by Melanie Guyard

Auteur:Melanie Guyard
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions du Seuil
Publié: 2020-07-10T10:27:50+00:00


CHAPITRE 11

La poussière a gagné. J’ai le nez qui coule et les yeux éclatés d’un lapin malade. Je rêve d’assaisonner mon café avec des antihistaminiques, mais je ne suis pas bien certain que le mélange soit pertinent, et je préfère de toute façon finir mon tri avant. Quand ces cartons seront vides, je jure de foutre le feu dedans.

Je passe un chiffon doux sur les couvertures aux couleurs passées des albums que je compte emporter, et la poussière vole dans la lumière. Je suis bien content d’être resté dehors pour cette activité, sans quoi, il aurait fallu passer l’aspirateur dans toute la maison avant de repartir. Et pour un type qui souhaite dégager ce soir, ce n’est pas gagné ! J’irais plus vite si je me contentais de glisser les albums dans le grand cabas en plastique que j’ai déniché pour les ramener, mais je ne peux pas m’empêcher de passer toutes les pages en revue, et de jeter un œil sur ces instantanés d’une époque révolue. Il y a longtemps que nous ne nous étions vus, papa. Je me souviens de toi.

Partout, l’ombre se retrouve, même si elle change de nom. Parfois, elle s’appelle Fatigue, et parfois, Colère. Ici, elle est Peur. Là-bas, Violence contenue. Mais c’est toujours la même ; les mêmes couleurs, la même palette, la même fleur qui pourrit de l’intérieur. Une chose est sûre, si toutes les photos en ont gardé l’empreinte, alors il était impossible de ne pas la voir, adulte ou pas. Mon père n’est pas partout, mais la langueur s’est distillée d’une page à l’autre et la douleur aussi, jusqu’à ce cliché avec le vélo rouge qui pourtant aurait dû en être exempt. S’il y a bien un objet qui devrait contenir ma libération plutôt que ma peine, c’est ce vélo. Mais au milieu des autres photos, il fait mal pareil.

J’essaie de comprendre entre les pages, mais sans trop y croire. Il y a longtemps que j’ai dépensé cette énergie-là. Comprendre est un renoncement de chaque heure ; on n’a jamais vraiment fini de capituler. Il me faudrait accepter l’idée que sur la somme des années que nous avons partagées, j’ai représenté moins du tiers de la sienne. Quel poids pouvais-je avoir ? Quel impact aurais-je pu m’accorder, moi, petit grain de sable impromptu – même si ma mère ne le reconnaîtra jamais – qui s’était glissé dans la belle mécanique du cœur qui les unissait ? Je suis ce qui reste. C’est déjà pas mal, disent les photos sur lesquelles je m’attarde. C’est déjà ça. Au moins en reste-t-il quelque chose, même si ce n’est que moi.

Et ces albums, c’est pareil, c’est déjà ça. On aurait pu ne rien avoir. On aurait pu tout perdre, d’autant plus cet hiver-là. On a eu de la chance, finalement, que ma mère ait été aussi triste et aussi lointaine, repliée dans un havre de douleur qu’elle nourrissait chaque jour et chaque nuit pour que surtout ne se tarisse pas la source de ses larmes.



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