Le village des cannibales by Corbin Alain

Le village des cannibales by Corbin Alain

Auteur:Corbin, Alain [Corbin, Alain]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782081387553
Éditeur: Flammarion
Publié: 2016-07-15T04:00:00+00:00


Vers le déchiffrement de l'énigme

L'essentiel, pour nous, demeure la quête du sens de ce supplice et de cette crémation. Tentons tout d'abord de recourir à l'historiographie de la violence afin d'essayer les clés que celle-ci nous propose.

Le drame de Hautefaye n'appartient pas à cette longue suite d'émeutes frumentaires dont, en France, les derniers soubresauts se produisent en 1868. On sait d'ailleurs l'intensité du rôle joué par les femmes dans le déclenchement et le déroulement de ces traditionnelles émotions. Écartons, de la même manière, tout ce qui relève de ces tensions, de ces antagonismes et de ces conflits latents qui structurent et épuisent, tout à la fois, les communautés rurales. Le drame de Hautefaye n'a rien à voir avec ces affaires de biens communaux mal partagés, de droits d'usage contrariés, de pâturage abusif, d'usurpations de toutes sortes, de différends nés du bois ou de l'eau qui troublent et parfois ensanglantent les campagnes du XIXe siècle. Le conflit ignore cet enracinement territorial. Il y a bien longtemps qu'un Philippe Vigier et qu'un Pierre Barral45 ont dressé la typologie de telles émotions populaires, nées de la modernisation de l'économie agricole et de l'âpre désir de terre qui tenaille la société rurale, avant que l'exode ne vienne éclaircir ses rangs.

En bref, ce serait suivre une mauvaise piste que de chercher dans la conjoncture économique le sens du supplice, ou que de s'inspirer du dessin de cette foule révolutionnaire, obsédée par le pain, décrite naguère par Georges Rudé46.

Écartons, dans le même mouvement, tout ce qui relève des passions vindicatives47, tout ce qui ressortit au brutal jeu des revanches qui perturbent le monde rural, attentif en permanence au règlement des comptes48. Le massacre du gendarme Bidan, sur la place de Clamecy, en décembre 1851, peut être imputé à la haine produite par la sévérité du fonctionnaire ; le malheureux tombe en un instant sous les coups de blessures infligées par une bonne trentaine d'insurgés49. Il n'en est pas ainsi du supplice du bon jeune homme de Bretanges, auquel personne ne trouve rien à reprocher et qui n'est connu que pour sa générosité.

Le meurtre de Hautefaye n'entre pas dans l'un de ces systèmes vindicatoires, pour reprendre l'expression de Raymond Verdier, qui ordonnent, par endroits, le cycle compensatoire des violences50. Les meurtres alternés qui, de 1790 à 1815, ensanglantent la région qui s'étend de Nîmes à Uzès obéissent à cette sinistre noria bien réglée51. Celle-ci s'intègre aux règles générales de l'échange, et pose la vengeance comme un fait de culture52. Le fonctionnement du « système vindicatoire » implique la densité et la précision de l'interconnaissance, un lien direct entre le persécuteur et sa victime et, le plus souvent, l'active participation de la jeunesse organisée. Les bagarres de village qui troublent le nord-est du Lot sous la monarchie censitaire répondent à ce modèle53 ; pas le meurtre d'Alain de Monéys. Ce forfait est l'œuvre d'hommes mûrs, indifférents à la localité.

Bien que les gestes de l'agitation antifiscale et antiétatique soient profondément enracinés dans la région, l'affaire ne participe pas de la bonne vieille tradition de protestation populaire54.



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