Le vertige by Guinzbourg Evguénia

Le vertige by Guinzbourg Evguénia

Auteur:Guinzbourg, Evguénia [Guinzbourg, Evguénia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit
ISBN: 2020316390
Éditeur: Seuil
Publié: 2017-08-04T13:56:23+00:00


Une bouffée d’oxygène.

Un jour, à une heure insolite, nous entendîmes avec inquiétude des bruits de ferraille se répéter à intervalles réguliers. L’une après l’autre, les cellules étaient ouvertes et refermées. Il se passait quelque chose.

En ces jours, nous étions déjà dans une grande agitation. Nous venions de rester un mois privées de journaux pour une violation imaginaire du règlement, quelque chose comme une « conversation à haute voix dans la cellule » (« Satrapet » et ses acolytes n’étaient pas, il faut le dire, doués de trop de fantaisie). Quand enfin, après un mois, nous avions reçu l’Ouvrier du Nord, la première chose qui nous avait sauté aux yeux avait été le procès Boukharine-Rykov. Il était donc à peine commencé ! Et nous qui croyions tout fini depuis longtemps… Encore une fois ces frénétiques discours de Vychinski et ces mystérieuses « confessions » des accusés. Toute la journée, nous avions réfléchi à leur conduite. Craignaient-ils donc tant la mort ? En admettant même qu’ils eussent commis non pas une, mais mille erreurs, c’étaient de puissantes personnalités politiques. Pourquoi ne s’étaient-ils pas conduits avec la même lâcheté sous le tsar ? Avaient-ils vraiment, comme on le disait, perdu la tête ? Alors, ils se seraient comportés comme Van der Lubbe(80) à Leipzig, demeurant assis en silence, le regard hébété, criant de temps à autre un « Non, non ! » Eux prononçaient de longs discours, bien stylés « à la Boukharine », ou dans la manière de chacun. Peut-être ne s’agissait-il pas d’eux ? Peut-être étaient-ce des acteurs grimés ? Après tout, Guelovani n’interprétait-il pas le rôle de Staline de manière si vraisemblable que n’importe qui s’y serait trompé ?

Nous étions, en ces mêmes jours, bouleversées par la mort de Kroupskaia(81). Nous regardions la petite photo qu’avait publiée le journal de Iaroslavl, et nous pleurions longtemps. Je crois bien que c’était la première fois, depuis que nous étions en prison. L’éloge funèbre était réservé, sec : Kroupskaia ne plaisait pas au Patron. Nous nous souvenions de l’histoire : « Camarade Kroupskaia, si vous faites l’imbécile, nous trouverons une autre veuve de Lénine. » Nous regardions à nouveau ses bons yeux, un peu à fleur de tête, son petit col d’institutrice, ses cheveux blancs et lisses. Tout dans son aspect était humain, proche, clair. Nous interprétions sa mort comme le dernier acte de la tragédie : les derniers témoins honnêtes, les personnalités les plus nobles, comme Kroupskaia, s’en allaient, mouraient, étaient exterminées. Et encore une fois les questions harcelantes : trouvait-on encore en liberté des gens de la trempe de Kroupskaia. Et s’il y en avait, se rendaient-ils compte de ce qui se passait ? Pourquoi se taisaient-ils ? Des gens comme Postychev par exemple, pourquoi n’intervenaient-ils pas ? Ioulia connaissait Postychev personnellement et le considérait comme le type même du léniniste. (Nous ne savions pas encore que Postychev avait, en fait, subi le même sort que beaucoup d’autres.) Mais comment aurait-il pu intervenir ? Et à quoi son intervention aurait-elle servi ? Postychev serait seulement venu grossir le rang des victimes.



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